Chante
Frère, la vie est brève :
Le soir est si près du matin
Qu’ici-bas chaque jour apporte un nouveau rêve,
Sans nous laisser le temps d’en savourer la sève,
D’en fixer le but incertain.
Frère, rien ne demeure
Inaltérable dans le cœur :
L’amour, la foi, l’espoir, tout change d’heure en heure
Au souffle empoisonné qui passe et nous effleure,
Léger d’abord, enfin vainqueur.
Eh bien ! n’importe, chante
Comme l’hirondelle au printemps ;
Que ta voix soit toujours et sonore et touchante,
Qu’elle soit jeune et fraîche et qu’elle nous enchante
Comme l’écho de nos vingt ans !
Chante pour la jeunesse,
Les petits, les adolescents ;
Chante pour les grands cœurs qui n’ont pas de faiblesse.
Pour ceux qu’un fier amour étreint, subjugue et blesse,
Pour les faibles, pour les puissants.
Chante pour la famille,
Pour les vieillards aux cheveux blancs,
Pour la mère adorée et pour la jeune fille
Dont la bouche sourit, dont le pur regard brille
Au souvenir de mots troublants.
Chante pour tous les âges,
Pour le présent, pour l’avenir ;
Aie un chant calme et sûr au milieu des orages,
De paix pour les méchants, de bonheur pour les sages,
D’adieu, d’espoir, de souvenir.
Aie un chant dans la joie,
La paix et la sérénité ;
Un chant dans la douleur que l’Éternel t’envoie,
Un chant grave et fervent en gravissant la voie
Qui conduit à l’éternité.
Le jour viendra bien vite,
– Le grand jour du suprême adieu. –
Où tu devras quitter cette terre maudite.
Ici, tu te tairas ; mais le ciel qui t’invite
Te dira : Chante devant Dieu !
Auguste GAILLARD.
Paru dans L’Année des poètes en 1895.