À Aristide C.
Poète, tu l’as dit : – qu’importe le vulgaire ?
– Qu’importe la clameur qui monte de la terre
Et poursuit le rêveur errant sur les sommets ?
Si la foule le hue et le souille de boue,
Si chacun veut l’abattre et souffleter sa joue,
Doit-il se taire à tout jamais ?
– La poésie est-elle une fille perdue
Qui se prête aux désirs matériels de la rue ?
N’a-t-elle plus au front un lumineux rayon ?
Est-ce pour satisfaire à tout mesquin caprice,
Qu’il faudra qu’elle tombe et qu’elle se salisse
Dans le terrestre tourbillon ? –
Non, tous ceux que Dieu fit ses dignes interprètes
Portent gravés au cœur leurs devoirs de poètes ;
Leur âme est un autel où fume un pur encens,
Leurs chants ne sont point faits pour toutes les oreilles,
Ils sont comme le cygne au milieu des corneilles,
Essaim aux cris étourdissants.
Leur voix s’élève, forte, au dessus du tumulte
Et quand, de toute part, contre eux, grandit l’insulte
De ceux qui les raillant ne les comprennent pas,
Il leur reste toujours des oreilles amies,
Des cœurs pour les bénir et des mains affermies,
Pour soutenir leurs premiers pas.
Va donc, toi qui t’es dit : Je veux tenter l’épreuve.
Bois au calice amer où tout élu s’abreuve,
La douceur est au fond de ses bords pleins de fiel.
Bats d’un fort aviron les flots de ta pensée
Et, sur cet océan où ta nef est lancée,
Suis ton astre qui brille au ciel.
Chante, mais souviens-toi que la lyre est divine,
Souviens-toi que du cœur qui bat dans ta poitrine,
Il ne doit rien sortir que Dieu ne t’ait prêté ;
De tout bruit garde-toi d’être l’écho servile,
Se vendre au plus offrant est une chose vile,
Reste pur dans ta liberté.
Car, si tu devais, sourd à la voix qui t’inspire,
Trafiquer de tes vers, si ton impur délire
Devait faire rougir ta muse au chant divin ;
Si tu devais briser son aile étincelante
Et faire de cet ange une ignoble bacchante,
Alors tu chanterais en vain.
Tu chanterais en vain, car ta triste harmonie
N’aurait pour l’inspirer plus de source bénie,
De Dieu qui te choisit tu trahirais le but,
Et mieux aurait valu, sur la mer orageuse
Ne pas t’élancer et, d’une main courageuse,
Fermer ton cœur, briser ton luth !
24 septembre 1858.
Louis GALLET,
Gioventù, poésies,
1857.