Hommes et poètes

 

 

                                            ..... Va demander ce que c’est que

                                            le style à nos plumitifs retors qui

                                            contrefont comme des faussaires

                                            toutes les écritures, celle de la science,

                                            celle de la gravité, celle de la foi

                                            et au besoin celle de l’innocence.

 

                                                              H. CASTILLE.

 

 

 

                                          I.

 

Ceux qui, des vins du soir la lèvre encore rougie,

            Ivres et le pas chancelant,

S’en vont prendre leur lyre au sortir de l’orgie

            Et la toucher d’un doigt tremblant,

Qui parlent de regrets, d’indicibles souffrances,

            D’outrages, de douleurs sans fin,

Et n’ont d’autre souci que de régler d’avance

            La débauche du lendemain ;

Ceux qui parlent du ciel et lancent l’anathème

            Sur les actions des méchants,

Et dont pourtant la voix injurie et blasphème

            Le Dieu qui parle dans leurs chants ;

Ceux qui vendent leur muse et l’ont habituée

            Aux chants iniques et menteurs,

Qui l’avaient prise vierge et l’ont prostituée

            Sans remords, sans honte, sans pleurs,

Qui sont avares d’or et font, de l’harmonie,

            Un trafic qui n’a pas de nom,

Ceux-là sont-ils vraiment les élus du génie,

            Ceux-là sont-ils poètes ? Non !

 

 

                                           II.

 

Non ! Ils ne le sont pas, car pour oser prétendre

            À ce nom qu’ils ont pris à tort,

Il faut que les accents que la voix fait entendre

            Avec ceux du cœur soient d’accord.

 

Comme en un pur miroir, l’image se reflète

            Pure et dans ses détails divers,

Ainsi, par tous ses traits, une âme de poète

            Doit se refléter dans ses vers.

 

Il ne doit pas voiler sous un masque propice

            Le désordre d’un cœur perdu,

Et plier les genoux devant l’autel du vice,

            Quand sa voix chante la vertu.

 

Il doit prêcher d’exemple et son âme craintive

            Doit sentir le mal approcher

Et se fermer à lui, comme la sensitive

            Qui se ferme au moindre toucher

 

Ou bien, s’il veut encor se vautrer dans la fange

            De ses vices multipliés,

Ah ! qu’il cesse, du moins, d’outrager de louange

            Cette vertu qu’il foule aux pieds.

 

Qu’il conserve dès lors un reste de courage

            Pour se faire silencieux,

Et laisser le destin de poète, en partage

            À ceux qui le comprennent mieux,

 

Qui ne redoutent pas que leur cœur se révèle

            Et dont chaque vers, chaque mot,

À lui, trouve en leur âme, un penser qui se mêle

            Comme le flot se mêle au flot !

 

 

                                                              1854.

 

 

 

Louis GALLET,

Gioventù, poésies,

1857.

 

 

 

 

 

 

www.biblisem.net