Veillée
À Jean Cocteau.
Dans la neige et dans les cendres, comme le manteau des solitudes,
Le vent dru de la nausée me retourne l’ombilic.
Omnimode est l’épouvante ; et sous l’arcade
Quelque esprit m’empoigne pour l’estrapade.
Visage poli à l’ombre de la grille :
Prisonnier ! prisonnier de mes mains !
Le voyageur n’a comme vêtements
Que les pellicules de l’eau pourrie.
L’écho tragique de l’astre accroît,
Dans mes paumes gercées, le venin de la colline.
Vendredi :
Jour du crachat,
Du caillou et de la croix.
Or, vraiment, nous saurons l’éclat de l’imminente face divine,
Nous : l’infâme, le cuistre et le scélérat.
Très loin, Seigneur, dans mes paupières le bond glacé de la nature ;
Buvez donc en elles ces fiels, acides et liqueurs pures
Qu’à l’ombre de vos veines distillent les grandes épines.
La complainte n’a point de cesse ;
Comme un rat elle grimpe sur les parois de ma détresse.
Déploie tes ailes, ô vrai Dimanche ;
Formes, enlevez les feuilles du calendrier !
Comme un fer à repasser, ce blanc minuit
De mon triste cœur défait les plis.
Mères dans le songe, sous l’immense poussée de la nuit,
De grâce, pressez-vous, allaitez vos enfants
Avant que d’horreur votre lait ne soit de lave ou caillé !
Or, vous, puissances de ce monde, écoutez en silence
Mes paroles concrètes de magnificence.
Mais l’autre, où va-t-il, le désespéré ?
S’incruster, comme une hache, dans l’écorce de l’indicible forêt ?
Cette langue d’enfer s’agrafe dans sa pustule ;
Là vente le suc de mille arbres géants,
Là le sang de leurs cris en trombe circule ;
Et la lune, dans ses veines, s’infiltre bourbeuse et immonde.
Ah ! se dissoudre dans le courant igné de sa lance !
Le centurion
Frappe les murailles du désert, rôde autour du Cédron.
Or les pierres, crachant la verte humeur de ces bois, colères lui clament :
« Ignare, c’est ici le tabernacle de Sa voix ;
La cime de Ses larmes resplendissantes !
Quelle dérision ! dans l’onde de tes yeux tu périssais,
Ombre ! dans la gueule de ton propre abîme. »
Alfredo GANGOTENA.
Paru en 1926 dans Le Roseau d’or.