Le bon pauvre
... Dieu mit ces degrés aux fortunes humaines.
Les uns vont tout courbée sous le fardeau des peines.
Au banquet du bonheur bien peu sont conviés.
Tous n’y sont point assis également à l’aise.
Une loi, qui d’en bas semble injuste et mauvaise,
Dit aux uns : jouissez ! aux autres : enviez !
V. H.
Ah ! je sais que la vie est un banquet suave,
Une longue fête pour vous ;
Vos chants toutes les nuits m’éveillent dans ma cave :
Frères, je ne suis pas jaloux.
Dieu n’a-t-il pas placé sur les cimes sereines
Le beau cèdre au riche manteau ;
Et, le long des torrents, courbé sous leurs haleines,
Le pâle et frissonnant roseau !
Ô Christ ! devant ton front que les épines ceignent
Je bénis mon sort et ta loi.
N’as-tu pas dit : « Heureux celui dont les pieds saignent
« Sur les ronces, derrière moi ? »
Mon pauvre cœur, semblable à l’épi qu’on flagelle,
Reste vide après tant de coups...
Mais que j’aie une larme à mon heure mortelle,
Christ, à verser sur tes clous !
Alfred GARNEAU, Poésies, 1906.