À ma sœur *
Pourquoi le ciel met-il mes jours au loin des vôtres ?
Victor Hugo.
Ô ma sœur, chaque jour mon âme te désire ;
Au fond de ma pensée en tous lieux je te vois. –
L’enfant au baiser pur, l’épouse au doux sourire,
Ne font pas oublier les anges d’autrefois.
Hélas ! nos jours troublés ne coulent plus ensemble :
Les miens sont emportés vers un but indécis.
Mais, comme un frais rayon plonge dans Peau qui tremble.
Ton souvenir charmant traverse mes soucis.
De tes plus jeunes ans je garde souvenance.
J’avais, quand tu naquis, vu sept printemps fleurir :
Enfant, je t’ai montré les plaisirs de l’enfance,
Et quels êtres bénis il nous fallait chérir.
Tu grandis : la raison à ton front déjà pâle
Alors donna sa grave et calme expression...
Ah ! trop tôt la douleur sur ce beau front d’opale
Cruellement devait labourer son sillon !
Une sœur est un don du ciel comme l’épouse ;
Dieu les met dans nos jours pour qu’ils nous soient plus doux.
L’une de consoler les peines est jalouse,
L’autre est l’ange d’amour qu’on adore à genoux.
Toi, toi, dans ton cœur d’or, ma sœur, la première,
Tu reçus de mon cœur les confiants aveux.
Et parfois tu voulus, colombe-messagère,
Porter mes chers secrets, mes soupirs et mes vœux.
Ô doux ressouvenir d’anciens jours pleins de charmes !
Pleins de charmes pour moi, car ta jeune âme encor,
Redoutant de l’amour et l’ivresse et les larmes,
Dans un monde inconnu n’osait prendre l’essor...
Mais tombe, tombe, Oubli, sur ces scènes heureuses !
Le passé ne peut plus me sourire à présent.
La Mort, qui se repaît de larmes douloureuses,
A dans les pleurs noyé mon cœur en le brisant.
Oui, la Mort, la Mort sourde, aveugle, sans entrailles,
Un jour, heurtant le seuil, s’écria : Me voilà !
Et, jetant tout à coup sa grêle ombre aux murailles,
Fit fuir notre bonheur, fidèle jusque-là.
Hélas ! nous entourions à genoux notre père ;
Ses yeux près de s’éteindre à ses côtés cherchaient.
Sans rien voir ils cherchaient, toi, sans doute, ma mère,
Et nous, ses quatre enfants ; ses lèvres remuaient.
Pour mieux rasséréner sa paisible agonie,
On faisait à voix haute une prière à Dieu.
C’était une suprême et lente litanie...
Soudain un grand sanglot la rompit au milieu...
Au bruit des tristes pleurs et des saintes paroles
La chère âme défit ses liens doucement...
Ah ! là-haut les martyrs, aux vives auréoles,
Ont conduit cette sœur au Christ, le Dieu clément.
Maintenant la tristesse est dans nos deux demeures.
Si du moins nous avions pour nous tous un seul toit !
Si je pouvais sécher tes larmes quand tu pleures !
Si tu pouvais encor me presser contre toi !
Tu dis : « Seules, ainsi, nos jours sont bien arides.
« Mais béni soit le ciel qui nous veut séparer !
« À tout foyer sans doute il est des places vides ;
« Chacun a ses absents et ses morts à pleurer... »
– Oui, ma sœur, une peine est de peines suivie,
Comme un flot par des flots, c’est la loi d’ici-bas ;
Oui, tôt ou tard, le sort, désenchantant la vie,
Sème tombes, débris et ronces sous nos pas.
Pourtant, si vous vouliez, ô ma sœur, ô ma mère,
Dans l’ombre où nous pleurons les rayons renaîtraient ;
Même au flot débordant de notre coupe amère
Quelques gouttes de baume aussi se mêleraient.
À vous, à moi, l’absence allonge les semaines ;
Vous gémissez, mon cœur soupire incessamment ;
Mille inquiets pensers ajoutent à vos peines,
Je sens partout le deuil de votre éloignement.
Eh bien ! mettons un terme à ce long ennui sombre ;
Venez à mon foyer vous asseoir toutes deux.
Des anges du logis vous doublerez le nombre ;
Et nous redeviendrons ensemble presque heureux.
Le liseron charmant suspend ainsi ses branches
Quelquefois au-dessus d’un vieux seuil sans beauté,
Et, le couvrant soudain de ses larges fleurs blanches,
L’embellit pour le don de l’hospitalité.
Alfred GARNEAU, Poésies, 1906.
* Mme Joseph Marmette.