Adieux

 

(Fragment.)

 

 

Mon cœur a ressaisi, mon âme est retrempée.

 

Vous qui parliez de maux, de vieillesse et d’exil,

Vous qui nous faisiez voir une race éclopée

Promenant ses débris, effaçant son profil,

Loin des cieux tâtonnant mutilée, appauvrie,

Sans pardon, sans espoir, derrière elle l’Éden,

Devant ses pas la mort, du paradis bannie,

Emportant sa misère et vouée à l’hymen

Avec tous les malheurs, – voyez la rajeunie :

Elle a dompté l’enfer !

                                     Notre race est bénie !

Nous possédons l’Éden, car nous y retournons.

Nous conquerrons les cieux, car nous nous souvenons.

Et c’est le doigt de Dieu qui nous promet la trace

Écrite avec un sang que nul pouvoir n’efface.

 

Le temps va nous faucher : Rien n’est mort, tout vivra.

La terre va sombrer : l’exilé rentrera.

Le vivant souvenir qu’emprisonnait la tombe

En a brisé les murs. La divine colombe

A franchi le rempart, cueilli le rameau vert,

Et, revenant à nous, les ailes étendues,

Elle dit que le Ciel, devant nous, s’est ouvert.

 

Je vous retrouverai, douces voix entendues,

Errant autour de moi, la nuit, quand tout dormait ;

Et vous m’emmènerez, vous les avant-courrières

De l’éternel matin dont le feu m’embrasait.

 

Je reverrai l’aurore aux célestes clairières

Et mon pied foulera les parvis azurés ;

Je la traverserai, l’implacable distance ;

Ma voile va s’ouvrir aux souffles éthérés !

 

Car, je l’ai bien senti, regret, c’est recouvrance ;

L’avenir est à ceux qui restent déchirés.

 

 

 

Comtesse A. de GASPARIN.

 

Paru dans L’Année des poètes en 1890.

 

 

 

 

 

 

 

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