Le Fils

 

 

Je ne veux plus marcher dans la nuit. Je veux croire.

Je veux aimer, prier, adorer. Je veux boire

Aux sources de la vie, aux sources du pardon.

Prenez-moi tout entier, mon Dieu, je vous fais don

De ma chair pitoyable et de ma raison folle.

J’ai faim, j’ai soif de vous, Seigneur ; une parole,

Un seul signe, un regard, me nourrirait d’amour.

Des choses de la chair mon âme a fait le tour,

Des choses de l’esprit mon âme est revenue,

La voilà devant vous, mon Dieu, tremblante et nue,

Étouffant ses sanglots et vous tendant les bras,

Espérant et doutant, et ne vous voyant pas.

 

Votre Clarté m’a dit : « Aime la solitude.

Pour venir jusqu’à moi la route est triste et rude,

Tu te retourneras souvent dans le chemin,

Sur ton front en sueur tu passeras ta main,

Tes passions sont là, tu le vois : sanctifie

Ce qui te reste encor de force, mortifie

Ces folles dont la bouche est pleine de baisers,

Et je rayonnerai dans tes sens apaisés. »

 

Et votre Amour m’a dit : « Ne tremble plus. Espère.

Viens partager ton pain. Chaque pauvre est ton frère.

Seule la charité du cœur te sauvera.

Ma Mère, à tes côtés, ô mon fils, marchera

Si tu portes le vin aux malades ; l’aumône

Que tu fais, tresse au ciel la future couronne ;

Au chevet des mourants tu me rencontreras,

Et dans ces tristes cœurs tu me reconnaîtras.

Que sert de posséder la sagesse du monde,

De connaître les lois dont le mystère abonde,

Si tu ne peux sauver l’âme de ton prochain,

Si tu ne donnes pas l’huile douce et le pain

Que pétrissait la veuve, à l’ombre de mon Père,

Car il était penché sur cette ménagère,

Alors qu’il est absent de tes livres. Tu crois.

Mais tu ne m’aides pas, fils, à porter ma croix,

Et tu restes couché quand gémissent les autres.

Dans le sombre jardin où priaient les apôtres.

Quand j’étais à genoux devant le Tout-Puissant

Et que sur moi coulait une sueur de sang,

Je t’ai vu, car j’ai vu tous les péchés du monde,

Ceux qui dorment déjà dans la terre profonde,

El tous ceux qu’après toi contemplera le jour...

C’est pour eux, c’est pour toi, que, dévoré d’amour,

J’ai couronné mon front des épines sanglantes,

Et que ma Mère en pleurs entre ses mains tremblantes

Pressait mes pieds troués, – et que mon Âme en feu

S’envola du Tombeau le troisième jour... »

                                                                       Dieu,

Père, Fils, pardonnez à ce cœur misérable.

J’ai pu trouver, mon Dieu, la Beauté préférable

À ce crucifiement, à cette humilité.

Je pleure, je rougis de mon infirmité.

Mon cœur n’est rien, ô Christ, qu’une goutte égarée

De ce sang qui coula sur ta chair déchirée...

 

Et le Verbe m’a dit : « Tu m’as trouvé. C’est moi

Que les Juifs en riant appelèrent leur roi,

Quand ils m’eurent jeté la robe rouge et verte.

Reconnais-moi, mon fils. Dans ton âme déserte

J’entrerai triomphant comme à Jérusalem.

Adore-moi, c’est moi, l’enfant de Bethléem,

Le maître de Lazare et de la Madeleine.

Ah ! pleure, pleure encor, pleure, ton âme est pleine.

Je suis Celui qui suis. Devant moi les douleurs

Chantent les psaumes d’or de David, et les pleurs

Brillent de tout l’éclat des célestes rosées.

Ah ! viens, au fond de moi les âmes embrasées

Ne forment plus qu’un chœur sans cesse plus nombreux.

Tu ne sauras plus rien des vallons ténébreux

Où se traîna jadis ton existence humaine.

Ah ! laisse-toi venir, viens, mon fils, je t’emmène

Au sein transfiguré de mon Père, au séjour

D’extase et de ferveur que tu nommes l’Amour. »

 

 

 

Joachim GASQUET, L’Arbre et les Vents.

 

Recueilli dans les Suppléments à l’Anthologie

des poètes français contemporains, 1923.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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