Les vieux clochers

 

 

Vieux clochers campagnards, couverts de tuiles rousses,

Clochers de nos pays, qui chantez au ciel clair,

L’hiver vous a sculptés ; les herbes et les mousses

Brodent vos chapiteaux ridés par le grand air ;

 

Clochers massifs, pareils aux colombiers rustiques,

Chancelants sous la brise, effrités et charmants,

Dans vos larges auvents, comme des vols mystiques,

Tourbillonne l’essor des carillons clamants ;

 

Sur le trouble Océan des plaines ondoyantes

Vous dressez les vaisseaux qui cinglent vers le ciel,

Et le rayonnement de tant d’âmes croyantes

Vous illumine encor d’un souffle d’irréel.

 

On dit qu’on trouve, ailleurs, des églises vêtues

De dentelle d’albâtre et de marbres luisants ;

Il n’est, pour les peupler, qu’un peuple de statues,

Elles n’enferment point l’âme des paysans.

 

Vous ne surplombez point des façades pompeuses,

L’or n’est jamais venu plaquer votre portail,

Vous ne lancez parmi les brumes radieuses

Qu’un coq étincelant dont la rouille est l’émail ;

 

Mais souvent, bien au fond de vos nefs en ogive,

Derrière vos autels au vermeil dédoré,

Plus d’un joyau survit, que l’artiste ravive

Dans le mystère où tant d’aïeux l’ont ignoré :

 

Éblouissants vitraux, clartés d’un ciel de rêve,

Pierre tombale où gît un seigneur ancien,

Bénitier ciselé, forme exquise où se rêve

Le chef-d’œuvre d’un vieux maître parisien.

 

Clochers, vous rassemblez à ces pauvres grand’mères

Qui tremblent, tout le jour, dans leur sombre sarrau.

Leurs yeux se sont creusés, leurs lèvres sont amères,

Et leur étroit fantôme attriste le carreau ;

 

Mais, dans l’obscur recoin de leurs placards obliques,

Elles gardent parfois quelque bijou sans prix,

Présent des jours charmés, lumineuse relique

Dont la flamme scintille entre leurs doigts maigris.

 

Et surtout, ô mes vieux clochers d’Isle-de-France,

Vous avez tant vibré d’allégresse ou de deuil,

Vous avez enfermé tant d’ombre et d’espérance

Que le plus fier s’incline en passant votre seuil.

 

Pour les enterrements et pour les épousailles,

Par les froides Toussaints, par les Noëls divins,

Vous avez éveillé dans vos fortes entrailles

La cloche, voix de fer dont pas un mot n’est vain.

 

Et quand, vers l’heure où le bétail revient aux portes,

L’Angélus fait tinter ses rythmes solennels,

Je m’arrête, entendant l’hymne des races mortes

Qui plane avec lenteur sur les champs éternels.

 

 

 

Pierre GAUTHIEZ, Isle-de-France.

 

 

 

 

 

 

 

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