Le départ

 

À M. A. DE L*** 1.

 

 

Quel est donc le secret de mes vagues alarmes ?

Est-ce un nouveau malheur qu’il me faut pressentir ?

D’où vient qu’hier mes yeux ont versé tant de larmes

                En le voyant partir ?

 

La nuit vint... et j’errais encor sur son passage.

Regardant l’horizon où l’éclair avait lui ;

Sur la route, de loin, je vis tomber l’orage,

                Et je tremblai pour lui.

 

J’aimais à contempler cette lueur ardente

Qu’il voyait comme moi dans le ciel obscurci,

À sentir sur mon front cette pluie abondante

                Qui l’inondait aussi.

 

J’allai, cherchant un être ému de ma souffrance,

Interroger les yeux de son départ témoins...

Mais lui !... n’était pour eux, dans leur indifférence,

                Qu’un voyageur de moins.

 

Nos amis m’attendaient au seuil de ma demeure ;

Je lus dans leurs regards un reproche jaloux.

« L’ingrate ! disaient-ils, elle souffre, elle pleure

                Et ce n’est pas pour nous ! »

 

Cependant pour tromper son âme généreuse,

J’ai caché ma douleur sous l’adieu le plus froid...

Pourquoi de son départ être si malheureuse ?...

                Je n’en ai pas le droit.

 

Quel est ce sentiment, ce charme de s’entendre,

Qui, montrant le bonheur, le détruit sans retour...

Qui dépasse en ardeur l’amitié la plus tendre...

                Et qui n’est pas l’amour ?

 

C’est l’attrait de deux cœurs, exilés de leur sphère,

Qui se sont d’un regard reconnus en passant,

Et que, dans les discours d’une langue étrangère,

                Trahit le même accent.

 

Tels, voguant loin des bords d’une terre chérie,

Deux navires perdus entre le ciel et l’eau,

Reconnaissent leurs vœux, leurs destins, leur patrie,

                Aux couleurs d’un drapeau.

 

Noble et sainte union, en délices fertile !...

Pour nos cœurs fraternels rêvant le même bien,

Le champ de la pensée est un commun asile,

                Et la gloire, un lien.

 

On parle à son ami des chagrins de la terre ;

On confie à l’amour le secret d’un instant ;

Mais, au poète aimé, l’on redit sans mystère

                Ce que Dieu seul entend !

 

 

Madame de GIRARDIN. (Delphine GAY.)

 

Recueilli dans Les femmes de France,

morceaux choisis par P. Jacquinet, 1886.

 

 

 



1  M. Alphonse de Lamartine.

– Il semble d’après l’émotion de ces vers,

non datés, que le poète partait

pour une longue absence.

– Peut-être pour son voyage d’Orient.

 

 

 

 

 

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