Le petit frère
De ma sainte patrie
J’accours vous rassurer.
Sur ma tombe fleurie,
Mes sœurs, pourquoi pleurer ?
Dans son affreux mystère,
La mort a des douceurs ;
Je vous vois sur la terre :
Ne pleurez point, mes sœurs.
Dans les cieux je suis ange,
Et je veille sur vous ;
Ma joie est sans mélange,
Car je fus humble et doux.
Des saintes immortelles
Je suis le protégé ;
Dieu m’a donné des ailes,
Mais ne m’a point changé.
Ma souffrance est passée,
Et mes pleurs sont taris ;
Ma main n’est plus glacée,
Je joue et je souris ;
Mon regard est le même,
Et j’ai la même voix ;
Mon cœur d’ange vous aime,
Mes sœurs, comme autrefois.
J’ai la même figure
Qui charmait tant vos yeux ;
La même chevelure
Orne mon front joyeux ;
Mais ces boucles coupées,
Au jour de mon trépas
De vos larmes trempées,
Ne repousseront pas !
Le ciel est ma demeure,
J’habite un palais d’or ;
Nous puisons à toute heure
Dans l’éternel trésor ;
Un fil impérissable
A tissu mes habits ;
Nous jouons sur un sable
D’opale et de rubis.
Là-haut, dans les corbeilles,
Les fleurs croissent sans art ;
Les méchantes abeilles
Là-haut n’ont point de dard ;
Les roses qu’on effeuille
Peuvent encor fleurir,
Et les fruits que l’on cueille
Ne font jamais mourir.
Les anges de mon âge
Connaissent le sommeil :
Je dors sur un nuage,
Dans un berceau vermeil ;
J’ai pour rideau le voile
De la vierge d’amour ;
Ma lampe est une étoile
Qui brille jusqu’au jour.
Le soir, quand la nuit tombe,
Parmi vous je descends ;
Vous pleurez sur ma tombe ;
Vos larmes, je les sens.
Caché parmi les pierres
De ce funèbre lieu
J’écoute vos prières,
Et je les porte à Dieu.
Oh ! cessez votre plainte,
Ma mère, croyez-moi ;
Vous serez une sainte
Si vous gardez la foi.
C’est un mal salutaire,
Que perdre un nouveau-né ;
Aux larmes d’une mère,
Tout sera pardonné !
Madame de GIRARDIN. (Delphine GAY.)
Recueilli dans Les femmes de France,
morceaux choisis par P. Jacquinet, 1886.