Ourika

 

ÉLÉGIE

 

 

                                              Seule, toujours seule !

                                                  jamais aimée !

                                                              OURIKA, nouvelle, p. 58.

 

 

Vous dont le cœur s’épuise en regrets superflus,

Oh ! ne vous plaignez pas, vous que l’on n’aime plus !

Du triomphe d’un jour votre douleur s’honore ;

Et celle qu’on aima peut être aimée encore.

 

    Moi, dont l’exil ne doit jamais finir,

Seule dans le passé, seule dans l’avenir,

    Traînant le poids de ma longue souffrance,

Pour m’aider à passer des jours sans espérance

        Je n’ai pas même un soutenir.

 

    À mon pays dès le berceau ravie,

D’une mère jamais je n’ai chéri la loi ;

    La pitié seule a pris soin de ma vie,

Et nul regard d’amour ne s’est tourné vers moi.

 

      L’enfant qu’attire ma voix douce

Me fuit dès qu’il a vu la couleur de mon front ;

En vain mon cœur est pur, le monde me repousse,

        Et ma tendresse est un affront.

 

Une fois à l’espoir mon cœur osa prétendre ;

D’un bien commun à tous je rêvai la douceur ;

Mais celui que j’aimai ne voulut pas m’entendre ;

Et, si parfois mes maux troublaient son âme tendre,

        L’ingrat ! il m’appelait sa sœur !

 

Une autre aussi l’aima ; je l’entendis près d’elle,

Même en voyant mes pleurs, bénir son heureux sort ;

Et celui dont la joie allait causer ma mort,

Hélas ! en me quittant ne fut point infidèle.

 

Je ne puis l’accuser ; dans son aveuglement,

S’il a de ma douleur méconnu le langage,

C’est qu’il les cœurs promis à l’esclavage

Indignes de souffrir d’un si noble tourment.

 

Malgré le trait mortel dont mon âme est atteinte,

Auprès de ma rivale on me laissait sans crainte.

Elle avait vu mes pleurs et les avait compris ;

Mais, ô sort déplorable ô comble de mépris !

Charles, je t’adorais... et ton heureuse épouse

Connaissait mon amour et n’était point jalouse !

 

Que de fois j’enviai la beauté de ses traits !

En l’admirant mes yeux se remplissaient de larmes ;

Et triste, humiliée, alors je comparais

Le deuil de mon visage à l’éclat de ses charmes !

 

Pourquoi m’avoir ravie à nos sables brûlants ?

Pourquoi les insensés, dans leur pitié cruelle,

Ont-ils jusqu’en ces lieux conduit mes pas tremblants ?

Là-bas, sous mes palmiers, j’aurais paru si belle !

 

Je n’aurais pas connu de ce monde abhorré

Le dédain protecteur et l’ironie amère ;

Un enfant, sans effroi, m’appellerait sa mère,

Et sur ma tombe au moins, quelqu’un aurait pleuré !

 

Mais, que dis-je ?... Ô mon Dieu ! le désespoir m’égare :

Devrais-je, quand aux cieux la palme se prépare,

Lorsque tu me promets un bonheur immortel,

Regretter la patrie ou tu n’as point d’autel ?

 

Ah ! du moins qu’en mourant tout mon cœur t’appartienne !

La plainte, les regrets ne me sont plus permis :

Dans les champs paternels à d’autres dieux soumis,

Je n’eusse été qu’heureuse... ici je meurs chrétienne !

 

 

 

Delphine GAY.

 

Paru dans les Annales romantiques en 1825.

 

 

 

 

 

 

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