Les petites lumières
Paris la nuit. Obscurité.
On se dirige à l’aveuglette,
On marche avec timidité,
Glissant comme une ombre inquiète.
Or voici que soudain, là-bas,
Une étoile luit et s’approche :
Un passant pour guider ses pas
Allume sa lampe de poche.
Une autre brille, on est moins seul
Et, se multipliant dans l’ombre
Froide et triste comme un linceul,
Des étoiles brillent sans nombre.
Si la nuit, le long du trottoir,
Un rayon bleu nous réconforte,
Il y a dans notre ciel noir
Des étoiles d’une autre sorte.
Ce n’est qu’un point clans notre brume
Ce n’est souvent qu’une lueur
Cela suffit pour que s’allume
Un grand espoir dans notre cœur.
Lorsque votre poste en sourdine
Dans le petit salon sans feu
Vous apporte un vers de Racine,
Votre ciel n’est-il pas plus bleu ?
Un air de Berlioz, quelques toiles
De Corot dans un magasin,
Ce sont encore des étoiles
Dans le ciel d’un noir de fusain.
Pour élever notre souffrance,
Pour que nous regardions plus haut,
On dirait parfois que la France
Se révèle quand il le faut.
Ayons donc une foi plus vive,
Croyons en son destin plus doux :
Pour que notre pays revive
Il faut d’abord qu’il vive en nous.
1943.
Raymond GENTY.
Recueilli dans Anthologie de la Société des poètes français, t. I, 1947.