Veillée d’armes

 

 

La lueur des flambeaux vacille au sanctuaire

L’écuyer solitaire y poursuit sa veillée

Selon le rite au pied des marches de l’autel.

« Quand le matin viendra dans sa clarté prochaine

Je serai, dans le faste et les solennités,

 

Choisi d’un coup d’épée pour la troupe des preux.

Mes voix et mes désirs d’enfant ont fait silence

Vouant au devoir strict mes éperons, ma lance,

Je serai le soldat qui fait les justes guerres.

 

Il me faut être prêt et digne de ce choix

Qui met la marque sainte à mon glaive sans tache

Devant le Dieu du tabernacle et cette tombe

Témoin de la valeur exacte des héros. »

 

L’ancêtre reposait, sculpté de pierre grise

Sous de sveltes arceaux où s’enroulaient des fleurs

Immobile, les mains jointes et confiantes

Un drapeau déployé recouvrait sa poitrine ;

 

La visière du heaume obscurcit son regard

Et debout un archange, élargissant ses ailes,

Tenait à son chevet son écu blasonné :

Champ uni traversé de lame flamboyante.

 

Il prie avec ferveur Celui qui règne au ciel

Brisant le cercle étroit des formules apprises

Les mains pieusement ramenées sur sa face :

 

Mais peu à peu, dans la texture de ses songes

Il voit s’insinuer une forme terrestre.

 

« Elle était au jardin, parmi les romarins,

Moins encore une jeune fille qu’une enfant,

Je vis sur ses cheveux briller des flocons d’or

Et des astres brodés sur sa robe aux longs plis ».

 

Il frissonne et dans sa frayeur, il voudrait fuir

L’image qui n’est plus pour lui que tentatrice

Il enfonce ses doigts dans l’épaisseur des boucles

Fait le signe éprouvé qui conjure Satan.

 

À son front sont montées la rougeur et la fièvre

Et les cierges sur lui ont dardé leurs éclairs

Alors il aperçoit sur le sein de la Vierge

Le Rédempteur du monde assis, les bras ouverts.

 

« Non, je serai ton serviteur et ton soldat.

Que nul autre désir ne s’éveille en mon âme,

Que désormais ma vie obéisse à ta loi

Pardonne-moi, Seigneur, cette faiblesse ultime. »

 

Alors l’autel s’ouvrant dans la blancheur des linges

Laisse échapper des têtes d’anges en essaim.

Dans le ruissellement lointain des orgues saintes

Le Vaillant au cœur pur et le Mort apaisé

Ont fait sourdre partout des nappes de lumière.

 

 

 

Stefan GEORGE, Églogues et louanges.

 

Traduit de l’allemand par Maurice Boucher.

 

Recueilli dans Stefan George, choix de poèmes,

première période 1890-1900,

traduit, préfacé et commenté

par Maurice Boucher, Aubier, 1941.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

www.biblisem.net