À la dérive

 

 

Aux mers éternellement sans tempêtes

Et sans aucun bruit et toujours les mêmes ;

Aux mers planes et sans gouffres et sans navires

Dont rien à l’horizon ne montre les limites.

 

Toujours l’eau glauque, immobile et sans frisson,

Sans un chant lointain et sans un bruit de lame ;

Pas un écueil, pas un rocher et pas un phare,

Et rien d’humain et nulle bête et nulle plante :

La mer stagnante et morbide et torpide,

Et l’ennui lourd sous les clartés de vagues lunes.

 

– Il n’y a pas de lune pourtant, ni d’étoiles ;

 

L’air sans brises et sans oiseaux et sans cris ;

La mer immensément, la mer sans bornes,

La mer sans rien qui vive ou qui végète ;

La mer morbide de stagnante torpeur. –

 

Et seule, sans voile ni rame ni rien qui bouge

Et sans bruit, s’en va ma barque à la dérive,

 

– Ma barque sans couleur, ni contour, ni matière –

 

Et mon cœur dans ma barque, mon cœur sans âme,

Sans rien qui bouge, mon cœur mort, mon cœur putride,

Sur la mauvaise mer d’ennui, à la dérive,

À jamais, sur la mer morte des désespoirs.

 

 

 

Paul GÉRARDY.

 

Recueilli dans La poésie francophone

de Belgique 1804-1884,

par Liliane Wouters et Alain Bosquet,

Éditions Traces, 1985.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

www.biblisem.net