La vision de la belle Aude
CONTE DU BON VIEUX TEMPS.
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I.
Gentil page était aimé
Par très-noble damoiselle ;
Deux ans, dans son cœur fermé
Il tint l’amour de sa belle.
Mais au seigneur du manoir
Vint de France un haut message
De riche et fier chevalier
Priant qu’il voulût bailler
Sa fille Aude en mariage.
II.
– Par la lance et l’éperon,
Messager, je vous régale,
Dit Olgard le vieux baron,
Ce soir dans ma grande salle ;
Écuyer, vous pourrez voir,
Sous la cape qui l’habille,
Les grâces et les beautés,
Précieuses raretés,
Qui sont les dons de ma fille ! –
III.
Par son moine chapelain,
Saint homme plein de prudence,
Notre seigneur châtelain
Qui lui gardait révérence,
À sa fille fit savoir
Qu’au souper, dans sa parure,
De la soie et du velours
En empruntant le concours,
Elle embellit sa tournure.
IV.
En oyant l’affreux récit
De son prochain mariage,
D’Aude le doux cœur s’occit
Songeant à Gaulthier son page...
Au moine fit entrevoir,
Comme tendre remontrance,
Qu’Olgard étant déjà vieux,
Pour elle il convenait mieux
Rejeter cette alliance.
V.
Le moine, de ces propos
Sentant la rare tendresse,
S’en alla, irais et dispos,
Les porter à leur adresse ;
Et, jugeant de son devoir
De s’en acquitter sur l’heure,
Il se rend vers le chenil
Ou, par plaisir puéril,
Souvent, le baron demeure.
VI.
Or, notre gentil Gaulthier
Que tant aimait la belle Aude,
Pour choses de son mestier,
Voulut lui parler en fraude...
Sans qu’on le pût entrevoir,
Soit par ruse ou maléfice,
Il parvient, d’un pas discret,
Au mystérieux retrait
Où sa belle est au supplice.
VII.
L’or, la soie et le brocart
Parent de gente manière
La tendre fille d’Olgard
Qui, dolente, est en prière.
Au Ciel, en son désespoir,
Lance une plainte suprême,
Priant Dieu de faire agir
Son bon ange à l’avenir,
Au profit de ce qu’elle aime !
VIII.
Or, advint qu’elle entendit
Douce et bénigne réponse...
Son cœur écoute, interdit,
Ces mots que la voix prononce :
– Aude, gardez votre espoir !
Vous aurez mon assistance...
Dieu sur les saintes amours
Veille et prête aide et secours
À qui garde sa constance ! –
IX.
Aude, au bruit miraculeux,
À genoux se précipite,
Mais un coup respectueux
Lui présage une visite :
– Dame, veuillez recevoir
Réponse courte et sincère,
Dit le moine don Tricot,
Aux demandes que tantôt
Vous fîtes à votre père.
X.
Sire Olgard a reconnu
Votre amitié filiale ;
Mais pour lors a maintenu
Sa résistance amicale :
« Ainsi, dit-il, sans surseoir,
« Sénéchal de Normandie
« Mon neveu, le comte Henri,
« Dans peu sera le mari
Qu’à ma fille je dédie. »
XI.
– Je viens, dit Aude, en ce lieu
Moi, très-faible créature,
D’entendre la voix de Dieu,
Messire, la chose est sûre.
Parfois il daigne apparoir
Aux humains, dans leurs épreuves ;
J’espère qu’en sa bonté
De sa sainte volonté,
Il me donnera des preuves ! –
XII.
Le bon moine, interloqué,
Craignant quelque sortilège,
– Car Satan, si reluqué,
Prend souvent une âme au piège... –
Sans se laisser émouvoir,
En malin frocard s’advise
Que, si c’est illusion,
Plus n’aura de vision
Devant lui, l’homme d’église.
XIII.
Lors, faisant signes de croix
Et moult oraisons pieuses,
Il adjure, à haute voix,
Les ombres mystérieuses
De lui laisser percevoir
Par marque, signe ou symbole,
Qu’Aude jamais de l’enfer,
Belzébuth ou Lucifer,
Point n’entendit la parole.
XIV.
Il advint en ce retrait
Une merveille étonnante ;
Du Sauveur le saint pourtraict
Parla d’une voix tonnante :
« Oui, moine, je veux avoir,
« Dans ma tendresse jalouse,
« Sans qu’on puisse la honnir,
« À jamais, dans l’avenir,
« Ma chère Aude, pour épouse. »
XV.
Don Tricot, tout ahuri,
Dit : « Ma fille, je suppose
Qu’à vous donner tel mari,
Votre père ne s’oppose...
Il ne saurait mieux vouloir
Et ne saurait mieux prétendre
Que votre saint célibat
Aie pour lui, ce résultat
D’avoir Jésus pour son gendre !... »
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XVI.
L’auteur du vieux manuscrit,
Où j’ai puisé cette histoire,
Raconte qu’Olgard souscrit
À ce vœu très-méritoire..,
Qu’Aude fit si bien valoir
Que, par grâce fortunée,
Le Ciel, dit-on, la dota
D’un ange qui cimenta
Sa délectable hyménée !...
Amélie GEX, Poésies, 1879.