Le frisson des roseaux frêles
Ô le frisson des roseaux frêles !
Si je savais vos tristes chants !
lorsque le vent passe, vous hèle
et vous fait plier en passant,
vous vous penchez humbles et tendres,
vous dressez, ployez à nouveau,
chantant ce chant que j’aime entendre,
ce chant plaintif, frêles roseaux.
Ô le frisson des roseaux frêles !
Souvent, souvent je suis allé
auprès de la rive sereine,
seul, et par nul homme troublé.
Je voyais vos hampes fragiles,
je regardais se rider l’eau
et j’écoutais le chant docile
que vous chantez, bruissants roseaux.
Ô le frisson des roseaux frêles !
Combien, combien vous contemplant
n’écoutent pas qui les appelle
dans la musique de vos chants.
Ils vont où le cœur les tourmente,
où sonnent écus trébuchants
mais votre voix point ne les tente,
ô mes frêles roseaux bruissants.
Pourtant cette voix qu’ils négligent
vaut qu’on l’écoute. Dieu créa
le fleuve, Dieu créa vos tiges,
Dieu dit : « Souffle » et le vent souffla.
Le vent souffla et fit merveille
sur vos hampes, de bas en haut.
À vos chants, Dieu prêta l’oreille :
vos chants lui plurent, doux roseaux.
Ô non, mon âme, roseaux tendres,
ne méprise pas votre voix,
mon âme à qui Dieu fait comprendre
votre murmure, quand je vois
les tiges frémir sous la bise.
Ô non, ô non, frêles roseaux
mon âme point ne vous méprise
quand vous chantez au bord de l’eau.
Ô que l’écho des frêles tiges
résonne en mon chant douloureux,
que monte sa chanson plaintive
vers Vous, qui nous fîtes tous deux.
Vous à qui même devient chère
une pauvre tige bruissant
ne rejetez pas ma prière
moi ! faible roseau gémissant.
Guido GEZELLE, Exercices poétiques, 1858.
Traduit du néerlandais par Liliane Wouters.