Exercice du chemin
de croix
I
Dieu est mis en jugement :
Le Juste paiera pour moi.
Il boira l’eau du torrent.
Il sera cloué en croix.
II
Le voyez-vous qui fléchit
Sous le poids de nos péchés ?
Tous il nous les a repris,
Tous lui seront arrachés.
III
Il tombe. Est-ce mon orgueil
Qui lui brise les genoux ?
Les miens s’useront au seuil
De la chambre de l’Époux.
IV
Inexprimable douleur !
Et la vôtre qui s’y joint,
Mère ! Donnez-lui les pleurs
Que nos yeux ne pleurent point.
V
Quoi ? Il lui reste un ami !
Et, Simon, ce n’est pas moi !
Je ne porte rien pour lui,
À peine ma faible foi.
VI
Et, si j’essuyais son front,
Véronique, je verrais
Sur le linge mes affronts,
Imprimer ses moindres traits.
VII
Seconde chute. Ô mon Dieu,
C’est ma dureté de cœur,
Pire que le sol pierreux
Que baigne votre sueur !
VIII
« Pleurez sur vous ! » dit Jésus.
Nous ne nous en privons pas.
Mais sur nos désirs déçus,
Non sur nos fautes, hélas !
IX
Or, nos péchés, redoublant,
Entre la terre et le bois
Écrasent l’Agneau tremblant,
– Concupiscence, est-ce toi ?
X
Alors, il sera livré
À l’outrage de nos yeux.
Nos plaisirs l’ont déchiré :
Voici l’Homme ! touchez-le.
XI
On le fixe par les mains,
On le fixe par les pieds.
Qui fixera mon destin
Au bois du crucifix ?
XII
La coupe est pleine de sang :
Un cri perce notre amour.
Comme la lance son flanc :
Il est mort. À notre tour !
XIII
Recevez-nous dans vos bras
Comme vous l’avez reçu,
Mère ! Nous serions moins las
Si nous avions mieux vécu.
XIV
Puis, au creux du Saint Tombeau,
Le « vieil homme » soit couché !
– Et sorte l’homme nouveau
Laissant aux vers son péché.
Henri GHÉON, Le Mystère de l’Invention de la Croix.
Recueilli dans Poètes de Jésus-Christ,
poésies rassemblées par André Mabille de Poncheville,
Bruges, Librairie de l’Œuvre Saint-Charles, 1937.