Transparence
Dans une neuve lumière
La Vôtre, Seigneur, je vois
Les merveilles de la terre
Qui furent toute ma joie.
Je contemple mon pays,
Ses doux fleuves navigables,
Mes parents et mes amis
Buvant ses vins à ma table ;
Je perçois le chant brisé
D’une colombe amoureuse ;
J’embrasse un enfant blessé
Sur des ruines glorieuses ;
Je vois la guerre, la paix,
Toutes choses en leur place
Comme au temps où je rêvais
Sur ma petite terrasse.
Mon cœur, en élargissant
Le champ de ses harmonies,
Ne les a point appauvries
Reprenez-vous vos présents ?
Non, le ciel intérieur
Dont j’ai fait la découverte
Par Votre Grâce et mes pleurs
Me rend les feuilles plus vertes,
Les flots plus suavement
Dociles au clair de lune,
Les matins plus exaltants,
Plus calmes les crépuscules,
Le corps de l’homme plus fier,
Son amitié plus chérie,
Plus saints les nœuds de la chair,
Et plus noble ma patrie.
Jusqu’à ce temps de chaos,
Roulant nos cœurs comme pierres
Sur les grèves de la guerre,
Qui sonne un plus bel écho !
– Rien n’a changé, mais partout
L’océan de la nature
Répond au concert plus doux
Des Anges dans la mâture.
Rien n’a bougé, mais l’accord
Qu’avait pressenti mon âme
Éclate au jour comme l’or
Des maîtres sons dans la gamme.
Et l’ordre longtemps caché
Épouvante les aveugles
Par la cruelle beauté
De son évidence neuve.
Hosannah ! gloire à Mon Seigneur !
Il a créé deux fois le monde :
La première pour les pécheurs
Et pour les justes, la seconde.
La première pour les païens
Dans le faste des apparences,
La seconde pour les chrétiens
Dans l’amour et la transparence.
À présent que je crois en Lui,
Tout m’est cristal à Sa Lumière
Même l’opaque et sombre terre
Que je soupèse comme un fruit.
Il ne me retirera rien
Des délices que j’ai cueillies
À l’espalier de cette vie
Et qui suffisaient à ma faim,
Si, d’une main reconnaissante,
Je les suspends au bleu verger
Où ses Élus, agenouillés,
Le voient, L’adorent et Le chantent.
Henri GHÉON, Chants de la Vie et de la Foi.
(Poème écrit au lendemain de sa conversion.)
Recueilli dans Louis Chaigne,
L’anthologie de la renaissance catholique : Les poètes,
Alsatia, 1938.