Mais après ?

 

 

Les anges ne me parlent pas,

Ils aiment les habitations radieuses,

La douceur et le sceau de l’humilité.

Or, moi, je ne suis ni saint ni humble,

Et les anges ne me parlent pas.

 

Sombre, goulu, modeste, tient à moi

L’esprit de la terre aux grands yeux.

Qu’importe que ce poupon soit sombre ?

Nous-mêmes, sommes-nous si meilleurs ?

Vers moi rampe, craintif, le sombre esprit de la terre.

 

Je l’interroge sur l’heure de la mort,

Car mon poupon, quoique modeste, est omniscient.

Là-dessus, il est assez bien informé.

« Dis donc, qu’as-tu entendu dire sur nous ?

Qu’est-ce que c’est, au juste, l’heure de la mort ? »

 

Sombre, il mange avec application un caramel

Et chuchote gaiement : « Donc, ils ont tous vécu.

L’heure de la mort est venue et ils furent écrasés.

On les a tout simplement écrasés, un point c’est tout.

Donne-moi donc encore un caramel.

 

Tu es né vermisseau sur un sentier.

On ne t’y gardera pas longtemps.

Rampe, rampe, et puis on t’écrasera.

Chacun, à l’heure de la mort, sous une botte

Crèvera comme un ver sur le sentier.

 

Il y a toutes sortes de bottes.

Pourtant elles écrasent toutes de la même façon.

Et toi, mon cher, ça t’arrivera aussi.

Tu goûteras le pied de je ne sais qui...

Il y a au monde toutes espèces de bottes.

 

Une pierre, un couteau, une balle, tout ça c’est des bottes.

Que ton cœur fragile soit trempé de sang,

Que ta respiration soit serrée par la douleur,

Qu’un nœud coulant te brise une vertèbre,

Dis-moi, n’est-ce pas la même chose, alors quelle botte ?... »

 

Silencieusement, j’ai compris bien des choses de l’heure de la mort.

Je flatte mon visiteur comme s’il était mon parent,

Je le régale et le questionne encore :

« Je vois que vous autres savez sur nous pas mal de choses.

Sur l’heure de la mort, j’ai maintenant bien compris.

 

Mais, après avoir été écrasé, qu’y aura-t-il ensuite ?

Dis-moi ! Prends donc encore un caramel !

Mange, petit, poupon mort ! »

Il n’a rien pris. Il m’a jeté un regard de côté :

« Mieux vaut que je ne te le dise pas, ce qui est après ! »

 

 

 

Zénaïde GHIPPIUS,

Poésies, vol. II.

 

Recueilli dans Anthologie de la poésie russe

du XVIIIe siècle à nos jours, par Jacques Robert

et Emmanuel Rais, Bordas, 1947.

 

 

 

 

 

 

 

www.biblisem.net