La petite fille qui n’était pas
Là où pourrit un saule chenu,
Où coulait le ruisseau aujourd’hui desséché,
Sur la pente abrupte, une petite fille
Pleure en tressant une couronne.
« Dis-le-moi, petite fille... Qui t’a offensé ?
Je suis seul comme toi... Dis-le-moi ! »
(Je l’ai haïe d’une haine secrète :
À quoi bon cette couronne ?)
Elle eut peur d’avoir été surprise,
Elle a murmuré une étrange réponse.
« Celui qui m’a créée m’a offensée !
Je ne suis pas et je pleure.
Je pleure en tressant ma pauvre couronne,
Et la lumière du soleil me damne.
Pourquoi m’approcher ? Tu sais bien
Que je ne suis pas et ne serai jamais. »
J’ai pensé : une sainte ou une folle.
La sauver ! la sauver !
Celle qui pleure en tressant sa couronne,
La prendre en mon cœur, l’emmener avec moi.
« Oh ! pourquoi me tourmenter !
Ton chemin n’est pas le mien.
Pour moi, tu ne peux rien.
On ne saurait sauver ce qui n’est pas.
Pour moi, tu engagerais ton âme.
Et moi, à tresser ma couronne, je serais toujours là...
Eh bien ! dis-moi donc, que peux-tu ?
C’est Dieu qui ne m’a point donné d’être.
N’approchez pas du précipice, n’approchez pas de ses limites !
Que me veux-tu ? m’aimer, me tuer ?
Je ne comprends ni la mort, ni l’amour.
Laissez-moi tresser ma couronne en pleurant. »
Zénaïde GHIPPIUS,
Poésies, vol. II.
Recueilli dans Anthologie de la poésie russe
du XVIIIe siècle à nos jours, par Jacques Robert
et Emmanuel Rais, Bordas, 1947.