De la Jérusalem Céleste,
et de sa beauté et de la béatitude
et du bonheur des Saints
FRAGMENT
XI
En premier lieu, elle est murée tout à l’entour,
Et la ville est bâtie à quatre angles.
Les murs sont aussi hauts que longs et larges :
Elle est fondée sur des pierres précieuses.
XII
À chaque angle, il y a trois belles portes,
Plus brillantes que les étoiles et hautes, longues et grandes ;
Leurs voûtes sont ornées de perles et d’or,
Et nul pécheur n’y entre, si grandes que soient ses forces.
XIII
Les merlons sont de cristal, les galeries d’or fin,
Et en haut un Ange Chérubin est son gardien,
Avec une épée à la main, qui est de feu divin,
Et il a sur la tête une couronne toute d’hyacinthe.
XIV
Lequel ne laisse gens importuns approcher
De là, taons ni mouche ni couleuvre, ni serpent,
Ni borgne, ni paralytique ni aucune autre créature
Qui pourrait faire nuisance à cette cité.
XV
Les rues et les places et les sentiers et les routes
Sont pavés d’or et d’argent et de cristal.
Les anges du ciel avec les Vertus bienheureuses
Chantent Alleluia dans tous le pays.
XVI
L’Écriture dit, texte et glose,
Que les maisons et les palais qui s’y trouvent
Sont si précieux et d’ouvrage si admirable
Que nul qui se trouve sous le ciel ne le peut dire.
XVII
Car les blocs et les pierres sont de marbre fin,
Clairs comme le verre, plus blancs que l’hermine ;
Dedans et dehors, les chambres et les cheminées
Sont peintes de lapis-lazuli et d’or d’outre-mer.
XVIII
Les colonnes et les portes sont d’un métal
Qui est meilleur que l’or, qui est plus clair que le cristal.
Ni mangonneau, ni baliste, ni rien d’autre ne sert ici,
Car ils ne peuvent faire de mal ni à ces maisons ni à la Cité,
XIX
Parce que le Christ en est le Chef et le Seigneur,
Et de tous les gens est le défenseur.
Aussi il n’a pas besoin d’avoir aucune crainte,
Celui qui de cette cité doit être habitant.
XX
Je vous dirai encore que l’Écriture dit
Qu’en cette cité ne luisent ni soleil ni lune,
Mais le visage de Dieu et sa Haute Image
L’illuminent tellement qu’on ne le peut mesurer.
XXI
La clarté qui émane de lui est telle
Que la nuit ne vient jamais, mais qu’il fait tout le temps jour ;
Ni nuage ni brume, comme il fait ici-bas
Ne peuvent jamais obscurcir la clarté de là-haut.
XXII
Les eaux et les fontaines qui courent dans la cité,
Sont plus belles qu’argent ou qu’or fondu ;
Tenez pour assuré que celui qui en boira
Jamais ne pourra plus mourir et n’aura plus de soif.
XXIII
Encore en son milieu court un beau fleuve,
Lequel est entouré d’une très grande verdure,
D’arbres et de lis et d’autres belles fleurs,
De roses et de violettes, qui donnent grand parfum.
XXIV
Claires sont ses ondes, plus que le soleil brillant,
Roulant des perles d’or fin et d’argent,
Et, tout le temps, et toujours davantage, des pierres précieuses
Semblables aux étoiles qui sont placées au firmament,
XXV
Desquelles chacune a une telle vertu
Qu’elles font retourner un vieil homme à sa jeunesse,
Et l’homme qui gît depuis mille ans sous le monument,
À leur contact se lève vivant et sain.
XXVI
Encore : les fruits des arbres et des prés,
Qui sont plantés sur la rive au bord du fleuve,
Rien qu’en les goûtant, les malades guérissent,
Et ils sont plus doux que miel ni qu’aucune autre chose.
XXVII
D’or et d’argent sont les feuilles et les troncs
Des arbres qui portent ces doux fruits ;
Fleurissant tous douze fois dans l’année,
Jamais ils ne perdent leurs feuilles ni ne deviennent secs.
XXVIII
Et chacun est (en soi) si embaumé
Que leur parfum se sent à mille milles et plus ;
Aussi, la cité tout entière, du dedans et du dehors,
Semble remplie de cinnamome et de menthe.
XXIX
Calandries, rossignols et autres beaux oiseaux
Chantent jour et nuit sur ces arbrisseaux,
Faisant leurs vers plus justes et plus beaux
Que ne font violes, rotes et chalumeaux.
XXX
Là-haut, les bosquets et les vergers sont toujours verts,
Dans lesquels se distrayent les saints chevaliers
Qui n’ont jamais ni plainte ni souci,
Hormis de bénir le Créateur du ciel.
XXXI
Lequel est assis au milieu d’eux sur un trône rond,
Et les anges et les saints se tiennent tous à son entour,
Louant jour et nuit son Nom admirable
Par lequel se maintiennent (en vie) les gens en ce monde.
GIACOMINO DE VÉRONE.
Recueilli dans Poésie italienne du Moyen Âge,
textes recueillis, traduits et commentés
par Henry Spitzmuller,
Desclée De Brouwer, 1975.