Le jugement dernier

 

 

Quel bruit s’est élevé ? La trompette sonnante

          A retenti de tous côtés ;

Et, sur son char de feu, la foudre dévorante

          Parcourt les airs épouvantés.

 

Ces astres teints de sang, cette terrible guerre

          Des vents échappés de leurs fers,

Hélas ! annoncent-ils aux enfants de la terre

          Le dernier jour de l’univers ?

 

L’océan révolté loin de son lit s’élance,

          Et de ses flots séditieux,

          Court, en grondant, battre les cieux,

Tout prêt à les couvrir de leur ruine immense.

C’en est fait : l’Éternel, trop longtemps méprisé,

          Sort de la nuit profonde,

Où loin des yeux de l’homme, il s’était reposé.

Il a paru ; c’est lui ; son pied frappe le monde,

          Et le monde est brisé.

 

          Sortez de la nuit éternelle,

          Rassemblez-vous, âmes des morts ;

          Et reprenant vos mêmes corps,

Paraissez devant Dieu : c’est Dieu qui vous appelle.

          Arrachés de leur froid repos,

Les morts du sein de l’ombre avec terreur s’élancent,

Et près de l’Éternel en désordre s’avancent,

Pâles et secouant la cendre des tombeaux.

 

          Coupables, approchez :

De la chaîne des ans, les jours de la clémence

          Sont enfin retranchés.

Insultez, insultez aux pleurs de l’innocence :

          Son Dieu dort-il ? Répondez-nous.

Vous pleurez ! Vains regrets : ces pleurs font notre joie.

 À l’ange de la mort Dieu vous a promis tous,

          Et l’enfer demande sa proie.

 

Mais d’où vient que je nage en des flots de clarté ?

Ciel ! Malgré moi, m’égarant sur ma lyre,

Mes doigts harmonieux peignent la volupté !

          Fuyez, pécheurs, respectez mon délire.

          Je vois les élus du Seigneur

Marcher d’un front riant au fond du sanctuaire.

Des enfants doivent-ils connaître la terreur

          Lorsqu’ils approchent de leur père ?

 

Quoi ! de tant de mortels qu’ont nourris tes bontés.

Ce petit nombre, ô ciel, rangea ses volontés

          Sous le joug de tes lois augustes !

Des vieillards ! des enfants ! quelques infortunés !

À peine mon regard voit, entre mille justes,

          S’élever deux fronts couronnés.

 

Que sont-ils devenus, ces peuples de coupables,

          Dont Sion vit ses champs couverts ?

Le Tout-Puissant parlait : ses accents redoutables

          Les ont plongés dans les enfers.

Là tombent condamnés et la sœur et le frère,

Le père avec le fils, la fille avec la mère :

Les amis, les amants, et la femme et l’époux,

Le roi près du flatteur, l’esclave avec le maître ;

Légions des méchants, honteux de se connaître,

Et livrés pour jamais au céleste courroux.

 

          Le juste enfin remporte la victoire,

Et de ses longs combats au sein de l’Éternel,

          Il se repose environné de gloire.

Ses plaisirs sont au comble et n’ont rien de mortel ;

          Il voit, il sent, il connaît, il respire

Le Dieu qu’il a servi, dont il aima l’empire ;

          Il en est plein, il chante ses bienfaits.

L’Éternel a brisé son tonnerre inutile ;

Et d’ailes et de faux dépouillé désormais

Sur les mondes détruits, le Temps dort, immobile.

 

 

 

Nicolas-Laurent GILBERT.

 

Recueilli dans Poètes de Jésus-Christ,

poésies rassemblées par André Mabille de Poncheville,

Bruges, Librairie de l’Œuvre Saint-Charles, 1937.

 

 

 

 

 

 

 

www.biblisem.net