Date obolum
Toujours, quand vient l’hiver, j’aspire à la richesse,
Non pas pour en jouir, mais pour sécher les pleurs
De tous les malheureux que l’opulence laisse
Gémir dans les douleurs.
Oh ! quel soulagement ressentirait mon âme
Si je pouvais puiser à la source des grands,
Pour porter aux foyers où ne luit nulle flamme
Quelque écu de cinq francs !
Cinq francs pour l’indigent, eh bien, c’est la fortune !
Des sabots pour l’enfant et pour chacun du pain !
C’est du charbon pour tous ! Dans une heure opportune,
C’est le salut certain !
Vous, les favorisés, vous, puissants, rois du monde,
Pourquoi vous privez-vous du plaisir de donner,
Quand il est si facile, hélas ! où l’or abonde,
D’aider sans se gêner ?
Même sans être riche, on peut faire l’aumône ;
Mais, lorsqu’on offre peu, l’on souffre pour celui
Qui reçoit un secours, dans sa main qui frissonne,
D’un pauvre comme lui.
Combien ils sont à plaindre, en ce temps de détresse,
Ceux-là qui, dénués de tout par le destin,
Sur les seuils des palais où règne l’allégresse,
S’agenouillent en vain !
Certes, je maudirais, si j’étais à leur place,
Tous ces élus du sort, sans cœur et sans pitié ;
Et jamais, non jamais, je ne leur ferais grâce
De mon inimité !
Par quel miracle, ô ciel ! l’innocente misère
Supporte-t-elle ainsi ses maux sans déconfort ?
Qui lui donna la foi pour dire le rosaire
Comme ferait le fort ?
De la religion c’est le divin mystère :
Je ne le comprends pas, mais j’admire et bénis
La loi sainte qui tient sous son joug salutaire
Les pauvres réunis !
P. GILMET.
Recueilli dans Anthologie belge, publiée sous le patronage du roi
par Amélie Struman-Picard et Godefroid Kurth,
professeur à l’Université de Liège, 1874.