Les fuites de l’âme
PRIÈRE
Souventes fois, mon Dieu, les dalles du saint temple
Résonnent sous mes pas aux bruits mourants du jour ;
Ici plane la paix et mon œil y contemple
La croix traçant dans l’ombre un grand geste d’amour.
Mais hélas ! je suis froid et froids sont mes cantiques ;
Ils n’ont pas je le sens l’aile de la ferveur
Pour les porter plus vite aux célestes portiques
Où vibre l’hosanna des élus du Sauveur.
Puis ils ne montent pas avec persévérance
Vers Celui qui disait : « Priez sans vous lasser »,
Mais sous le poids trop lourd de mon indifférence
Retombent sans pouvoir de nouveau s’élancer.
Souvent même mon âme ignore la parole
Qui fuit distraitement la lèvre qui l’émet,
Et ma pensée alors avec l’heure s’envole
Comme ces rêves vains qui n’ont jamais d’effet.
Seigneur, je n’aime pas comme il faut qu’on vous aime,
Mon âme, en ses retours, m’en accuse tout bas ;
Avec peine dès lors je retiens ce blasphème :
« Je suis trop imparfait, Vous ne m’écoutez pas. »
Je savais mieux au jour de ma timide enfance
Pour toucher Votre amour trouver le mot vainqueur ;
Je savais mieux aussi dans l’ombre et le silence
Porter devant l’autel ma prière et mon cœur.
Enseignez-moi comment il se peut que je fasse
Avec plus d’abandon mon âme s’épancher
Comme la fleur se livre à la brise qui passe,
Comme l’onde s’échappe et coule du rocher.
Enseignez-moi comment, les mains entrelacées,
Nouer avec le ciel de plus doux entretiens,
Et laisser loin de moi les frivoles pensées
Qui voltigent autour de nos pas quotidiens.
Oh ! blessez-moi mon Dieu d’une sainte blessure
Pour stimuler ce cœur un moment oublieux ;
Que j’entende en moi-même une voix qui rassure :
Je l’implore à genoux, Notre Père des Cieux !
1919.
Joseph GINGRAS, Fidélité,
Montréal, 1958.