La mousse
Avec la fougère, la mousse
Brode une gaine au clair ruisseau ;
Tout près de là, le noyer pousse
Ses branches où rêve l’oiseau.
L’oiseau chante et veut qu’on l’admire ;
L’arbre fait appel au regard ;
Mais la frêle mousse n’attire
Que le promeneur du hasard.
Elle aime les sentiers sauvages
Connus du lièvre et des perdrix
Et jette autour des marécages
La dentelle de ses replis.
Parfois un vieux tronc se lamente ;
Lors, autour de lui s’enroulant,
Elle tisse une verte mante
Sur les blessures de son flanc.
Les vieilles choses vermoulues
Par elle s’ornent sous nos yeux ;
Elle a pitié des roches nues
Qu’elle vêt d’un manteau soyeux.
Voyez au pied du bouleau pâle
Un fin velours avec ourlet ;
En aucun palais ne s’étale
Tapis si riche et si mollet.
Tendre émeraude elle demeure
Sous les frimas de tous les temps,
Pour qu’en nos cœurs jamais ne meure
L’espérance du gai printemps.
Béni soit dans l’oiseau qui chante
Le Créateur, vie et foyer
De chaque être qui nous enchante,
Du ruisseau clair, du frais noyer.
Béni soit-Il d’avoir fait naître
Les perdrix, le lièvre et les bois,
Nos cœurs qui peuvent Le connaître,
L’espoir, le printemps plein de voix.
Et d’avoir fait la mousse verte
Pour embellir, pour velouter,
Et d’avoir fait notre âme ouverte
A tant de charmes pour aimer.
1919.
Joseph GINGRAS, Fidélité,
Montréal, 1958.