Voix du soir
Au bord du Saint-Laurent quand, vaincu, le jour sombre,
L’oreille peut ouïr, sur la nappe d’eau sombre,
Des murmures confus dans la nuit s’élever.
C’est une âme qui passe avec un chant de lyre ;
Écoutez ! Mélodique, aux flots elle soupire,
Légers comme un encens, des mots qui font rêver :
« Mon nom, beau Canada, c’est la Langue Française.
C’est moi qui la première ai chanté ta genèse,
Lorsque tes horizons contemplèrent Cartier.
Avec l’épée, avec la croix, avec l’Histoire
De ton passé, j’ai fait une ode de victoire
Pour que ton peuple m’aime et soit un peuple altier.
« Tes érables royaux devinrent mon douaire ;
Ton fleuve-roi m’ouvrit son immense estuaire ;
Ses rives, m’écoutant, voulurent désormais
Me répéter sans cesse à la forêt profonde,
Et j’ai vu ce géant rouler vers moi son onde
Pour implorer le nom qui le sacra français.
« J’enfantai sur ton sol les sublimes courages :
Brébeuf, Dollard, Montcalm, quelles splendides pages
Dans les annales d’or qui parlent d’autrefois
Mon verbe, inspirateur des saintes entreprises,
A criblé ton azur de tes flèches d’églises,
Car ton vrai souverain, c’est le Maître des Rois.
« Malgré tant de bienfaits, qu’une rivale impie
Me jette l’anathème, avec fureur m’épie
Et me veuille aujourd’hui bannir sous d’autres cieux,
Tu sauras, ô pays, bien défendre ta reine
Et, malgré ces assauts, ces luttes, cette haine,
Tu garderas intact le parler des aïeux ».
Au bord du Saint-Laurent quand, vaincu, le jour sombre,
L’oreille peut ouïr, sur la nappe d’eau sombre,
Des murmures confus dans la nuit s’élever.
C’est une âme qui passe avec un chant de lyre.
Écoutez ! Mélodique, aux flots elle soupire,
Légers comme un encens, des mots qui font rêver.
1917.
Joseph GINGRAS, Fidélité,
Montréal, 1958.