De la mort

 

ODE

 

 

Voyant mort un camarade

Avec qui si souvent nous avons ri,

Tout mon esprit s’est ému

Et ma gaîté s’en est allée,

Mais qui n’est pas troublé

À la pensée de ce pas

Qui au monde n’a plus de retour,

Quand l’homme dans la force de l’âge

N’a pas d’ami qui le seconde

Dans son duel avec la mort.

 

Je ne savais plus vraiment où j’étais

Quand le compagnon trépassé

Fut froidement abandonné

Dans un recoin du cimetière.

Je ne fus pas plus tôt à la maison

Que mon cœur me parla ainsi :

« Comme les gens ont vite fait de partir !

Comme tous nous glissons dans la fosse

Où sur un corps privé de vie

Les vers jouent à tire-qui-peut ! »

 

Fils ingrats de notre misère,

Pour vous nous engraissons la chair ;

Nous achetons le morceau le plus cher

Pour vous donner une chère meilleure.

De rien, pauvres, ne nous sert

La pierre dure qui couvre

Les peaux et les os ;

L’héritier est pressé de nous voir dessous

Et pour envelopper les dépouilles

Ne nous plaindra pas un linceul.

 

Voir la poussière que l’on devient

Quand le soleil nous a quittés

Et ne considérer que des vanités,

C’est avoir des yeux de cire.

Savoir que le plus riche meurt

Et s’attacher amoureusement à l’or,

C’est avoir un cœur de bois.

De bois, soit, mais lorsque la mort

Y frappe de ses pieds directs,

L’âme lui ouvre, et en sort.

 

« Si vous fuyez aujourd’hui, dit la farouche,

Demain je vous attraperai ;

De chaque main maniant l’arbalète,

Fléau de la personne vivante,

D’un sexe comme de l’autre je fais ma cible,

Je frappe valets et seigneurs ;

Esprit, courage, bonne mine

Sont indifférents à mon bras

Et les yeux de cette Toulousaine,

Morts, ne feront plus les mourants. »

 

Moi-même qui me plais à écrire,

(Que ma plume fasse bien ou mal)

Et aussi celui qui me lira,

Un jour nous cesserons de vivre.

Le premier des hommes est mort,

La première femme a tourné en pourriture.

Redevables en furent l’un et l’autre

Au péché qui les fit tomber ;

Tous deux remboursèrent leur dette

Et ne purent plus emprunter.

 

En attendant que l’heure vienne,

Celle qui vient bon gré mal gré,

Pourquoi péché-je si souvent

Du cœur, de la main, de la langue ?

Devant l’arrêt qui veut que nous mourions

Je me sens tout épouvanté.

Ce qui m’alarme, ce n’est pas

De voir le temps qui s’enfuit,

Mais de songer à ce que devient l’âme

Quand elle est sortie de son enveloppe.

 

Il m’arrive de rester pensif

Devant celui qui pèche à l’étourdie

Et pour plus ou moins de temps

Va languir dans le Purgatoire.

Encore que ce triste lieu

Soit plein de douleur et de flammes,

Au moins un jour on sort de peine

Et la cendre se refroidit

De l’âme que l’ange emmène

Dans le repos du paradis.

 

Las ! mais que feront les malheureux

Que la male-mort surprendra

Et que Satan engloutira

Dans les abîmes rigoureux ?

Elles ne feront que maudire,

Que brûler sans se consumer,

Sans répit d’un quart d’heure :

Abîmes horribles et puants

Où éternellement l’on pleure

Et où l’on grince des dents.

 

Tournons-nous vers la merveille

Qui a ravi un apôtre :

Ce que le cœur de l’homme n’a pas conçu,

Son œil ne l’a pas vu,

Cela n’est pas entré dans son oreille.

Tant de ravissement est réservé

À celui qui donne son cœur à Dieu

Pour admirer un jour sa face,

Là où dans le bonheur de l’éternité

Les anges confirmés en grâce

Adorent la Divinité.

 

Ô corps d’un ami, tu dors à cette heure

Et certes tu te réveilleras,

Et toi, l’esprit, tu guériras,

Si ici-bas tu te purifies encore.

Si au paradis tu séjournes,

Nous prions Dieu de t’y voir

Loin des maladies et de la guerre.

Pour cela j’implore la grâce

De Celui qui a fait le Ciel et la Terre,

Moi, misérable pécheur.

 

 

 

Pierre GOUDELIN.

 

(Trad. A. B., revisant trad. J. M. Cayla.)

 

Recueilli dans Anthologie de la poésie occitane,

choix, traduction et commentaires

par André Berry, Librairie Stock, 1961.

 

 

 

 

 

 

www.biblisem.net