Dollard Des Ormeaux
À quoi songez-vous donc, ô mon beau capitaine,
Par ce joli matin, ce doux matin d’avril
Qui fait vibrer les sens, comme un archet subtil
Que tiendrait le Printemps aux mains magiciennes ?
Peut-être écoutez-vous le refrain obsesseur
De la neige qui fond goutte à goutte et chantonne
Au bord de la fenêtre où chaque goutte sonne
La défaite du froid, du silence oppresseur ?
Peut-être suivez-vous le vol gai des corneilles
Qui cisaillent sans fin les gros nuages blancs
Pour dégager Phébus, inquiet et tremblant,
Qui s’emmitoufle encor comme une pauvre vieille ?
Peut-être laissez-vous votre âme de vingt ans
Oublier la cuirasse où le sort l’emprisonne
Pour évoquer Capoue où sans cesse claironne
L’appel insidieux du Plaisir triomphant ?
Peut-être priez-vous, chevalier de la Vierge,
Pour que le ciel bénisse et garde vos amours
Et fasse que bientôt vienne et brille le jour
Où vous irez tous deux vers la flamme des cierges ?
À quoi songez-vous donc, ô mon beau commandant,
Par ce matin d’avril qui revêt la bourgade
De promesses, d’espoirs, de rêves où s’attarde
Le songe des colons que votre bras défend ?
« J’écoute la clameur que le vent d’ouest charrie,
La clameur qui se mêle au fracas du Long-Sault
Et je suis, au ciel bleu, le vol noir d’un corbeau
Dont l’ombre a menacé la ville de Marie ! »
Paul GOUIN,
Médailles anciennes, 1927.