Jean de Brébeuf
Qu’importe la nuit froide où rôde le silence
Ainsi qu’un loup sournois, énervant de patience,
Attendant mon sommeil pour se jeter sur moi :
L’eau-de-feu chassera les esprits et le froid...
On dirait qu’une voix... non... achevons de boire...
Oui... cette voix qui prie... Encor la « Robe Noire » !
Holà !... mais non... je rêve... à grands coups de couteau,
J’ai, moi-même, taillé ses lèvres en lambeaux...
C’est le vent qui s’élève et siffle dans les branches...
Plus rien... Le vent s’est tu. Tout le bruit se retranche
Ici, dans ma hutte, où près des rouges tisons,
Je fume un calumet et vide mon flacon...
La flamme du brasier, obsédante et fantasque,
Dessine sur les murs des formes et des masques
D’ombre... oui, c’est bien la flamme... et pourtant, là, ces mains
Qui s’agitent ne sont pas l’ombre de mes mains...
Le signe de la Croix !... oui, les mains qui bénissent !...
Mais ma hache est ici sous mes doigts qui frémissent ;
D’un coup je vais chasser !... non, je suis fou... l’acier
Est tout couvert du sang des mains que je coupai...
C’est quelqu’un, à la porte... Un filet de lumière
A filtré sourdement le long de la portière,
Puis, libéré d’un geste, un torrent de clarté
S’est rué dans la hutte où ses flots argentés
Ont englouti d’un coup visions et fantômes...
C’est mon fils... sa présence est douce comme un baume
À mon âme fiévreuse ;... étendu près du feu,
Pour dormir doucement, je peux fermer les yeux...
Mais non, je ne peux pas... car cette chevelure,
Que balance le vent au bord de la toiture,
Comme un épouvantail dressé par le remords
Effarouche à nouveau mon esprit et mon corps...
Écoute l’eau qui bout... écoute sa complainte...
Malgré toi, hanté par le refrain de sa plainte,
Tu reverras en songe un baptême effrayant :
L’eau bouillante tombant sur un crâne sanglant !...
Affolé d’insomnie et grelottant de fièvre,
Accroupi près du feu, je veillerai sans trêve
Sans comprendre pourquoi, tout au fond de mon cœur,
Habite maintenant cette angoissante peur.
Car le « Visage Pâle », au milieu des tortures,
Comme un grand guerrier est mort sans flétrissures ;
Pourquoi donc ai-je moins de courage et d’ardeur
Alors qu’à pleines dents j’ai dévoré son cœur ?...
Paul GOUIN,
Médailles anciennes, 1927.