Cellule

 

 

Ma joie, viens à l’abri du monde impétueux,

Ô fiancée fragile, affaiblie d’allégresse,

Tes pas lents se perdraient dans les bourgs populeux

Comme un vol incertain de pigeons en détresse :

La foule est un pressoir impur et ténébreux

Pour exprimer ce cœur éclatant de jeunesse !

 

Ici la nuit est douce et permet à la flamme

De monter introublée dans le noble silence ;

Tu peux dire ce mot qui oscille en ton âme,

Et te livrer, paisible, à ton essor immense.

Le cloître, net et blanc, poli comme une lame,

Sépare, des vivants, ta maison d’innocence.

 

La pierre encore est froide, et toute voix, furtive,

Et la fenêtre close, et le lit sans douceur.

Vois ! C’est bien le silence et la veille tardive

Qu’inventaient tes désirs, que mendiait ton cœur :

Comme des joyaux morts dessous une eau sans rives,

Les rêves anciens sont éteints à cette heure.

 

Voici la Paix. Entends... mesure son abîme,

Pourquoi ton cœur, ainsi, bat-il avec alarme ?

Tu sais bien que l’amour t’entraîne vers ces cimes,

L’immense cité dort sans émeute et sans armes.

Voici la chaste Paix qui ferme un seuil intime,

La pauvre Paix qui tend la sébile à tes larmes.

 

Je suis donc toute à toi, Maître des solitudes,

Époux incorruptible et Seigneur fraternel.

Rien ne me distrait plus de mes graves études,

Rien ne me déprend plus de l’étreinte éternelle.

Chasteté ! Pauvreté ! Clartés humbles et rudes !

Vous tremblez au-dessus de ma couche nouvelle.

 

Tant de fervent pouvoir est en moi déposé

Que d’un seul cri d’amour, d’adhésion, d’ardeur

Ma joie pourrait tarir la lointaine rosée

Sur la face des cieux, tout étoilée de pleurs...

Je régis, le front bas, un royaume embrasé,

Et vous pesez sur moi, colonnes de douceur.

 

Que se resserre encore le lieu clos et limpide

Où se donne à mon âme un si brûlant festin,

Que s’abaisse la flamme en la lampe timide

Poux que mes yeux fermés dénombrent vos butins.

Ah ! pour grandir encor la pauvreté splendide,

Ne me faites, Seigneur, jamais don du matin !

 

 

 

Mercédès de GOURNAY.

 

Recueilli dans : Suzanne-Marie Durand,

Vladimir Ghika, Prince et Berger,

Casterman, 1962.

 

 

 

 

 

 

 

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