L’âme des champs
Les plaines qui moirant les crespes de leurs herbes
Semblent dormir au loin sous les rais du soleil,
Dans l’attente des jours, où l’on fauche leurs gerbes,
Ont une âme pour nous et toujours en éveil,
Une âme qui se meut dans les lueurs de l’aube,
Harmonisant le bleu, symphonisant le vert,
Et que nous respirons dans le pré recouvert
De larmes et d’argent qui lui tissent sa robe.
Et que nous devinons dans les calmes du soir,
Qui massent les clartés d’une rouge coulée
De gemmes, de métaux, immense reposoir
Pour l’âme officiant des plaines exhalée.
Les plaines qui l’été moutonnent leurs toisons
De blonds blés lourds de vivre activant leurs clochettes,
Qui frappent des sons d’or et les tissent en strettes,
Ouates de vapeurs flottant sur les blés blonds,
Les plaines ont une âme et que nous devinons
Albe cygne glissant sur une eau d’émeraude,
Cygne puissant et doux qui tend vers les moissons
Son col maternel qui d’opulence se brode.
Âme, sœur de notre âme et qui nous calme et nous
Berce comme une mère en roses rêveries,
Et nous lénifiant nos blessures aigries
Par son vague exhalé dans des spasmes si doux
Nous fait tomber devant son ampleur à genoux.
Et nous montrant au loin les arbres en prière,
Avec leurs bras tendus aux cieux de rêve épris,
Et des hymnes, encens dont fume la bruyère,
Dans l’encensoir des vents coulant leurs halos gris,
Nous imprègne le cœur du solennel silence,
En lequel elle endort, la nuit, sa majesté,
Pour nous rendre au travail, grandis par la fierté,
Solitaires nourris du lait de sa puissance.
Charles GOVAERT.
Paru dans La Flandre littéraire, artistique et mondaine en 1897.