Les lacs
Par-delà nos cités où se tordent les haines
En reptiles de feu vers nos cœurs en tourment,
Par-delà l’océan, nos forêts et nos plaines
Et toute la nature au rythme qui nous ment ;
Je connais de grands lacs qui cachent la complainte
Des songes endormis en leurs flots lents et bleus,
Je connais de grands lacs purs, vierges de toute atteinte
Qui pourrait altérer leurs reflets lumineux.
Ces grands lacs sont rêveurs sous de blanches dentelles
Que tissent sur leurs bords les fleurs des orangers,
Et neiges et duvets partout en cascatelles
S’élancent vers l’azur et retombent légers.
Royalement seuls sur ces eaux, de rares cygnes
Passent le col tourné vers l’infini serein,
Et l’infini répond par de mystiques signes
Aux mystiques amours épurés en leur sein.
C’est là-bas dans le bleu, c’est là-bas près des anges
Que je les entrevis, ces lacs de vision,
Et pour y parvenir, j’ai déchiré les langes
Dont m’avait ligoté l’humaine passion.
⁂
Les poètes un soir n’écoutant plus la terre
Tordre les désespoirs en de rauques sanglots,
Laissèrent leurs esprits prendre vol vers la sphère
Où naquit l’Idéal, où le Rêve est éclos.
Leurs esprits envolés vers le Ciel-Empyrée,
Plus haut, plus haut toujours montaient les infinis,
La bonté du Seigneur partout était mirée,
Les espaces pour eux, Dieu les avait bénis.
De moi tes lueurs d’aube égrenaient quelques franges
Douces comme du lait au travers de la nuit,
On entendait chanter les oiseaux et les anges,
Et les vols étaient blancs rythmés presque sans bruit.
Les étoiles rêvaient au-dessous des poètes,
Gravissant les éthers de Dieu seul traversés,
Mais de là bien des cieux, des mondes, des planètes,
Ils durent s’arrêter enivrés, épuisés.
Enivrés, épuisés, ces éblouis pleurèrent
Les larmes de cristal dont les lacs sont coulés
Et leurs pleurs d’impuissants de leurs cœurs s’épanchèrent
Avec leurs vers par l’or des aurores roulés.
Ils pleurèrent ces lacs où leurs rêves, blancs cygnes,
Passent le col tourné vers les loins étoilés,
Dans l’espoir que le Ciel par quelques divins signes
Leur dirait le dernier des mystères voilés.
Ainsi qu’eux je voudrais m’emportant sur des ailes,
Pousser mon vol d’ardeur, si loin qu’on peut rêver,
Heureux si mes efforts atteignent les eaux belles,
Heureux si mes désirs s’y peuvent abreuver.
Car c’est encore, en ce malheur qu’est l’existence,
Le bonheur le plus pur que l’on puisse espérer,
Que la Communion de notre intelligence
Avec des pleurs où l’infini vient se mirer.
Charles GOVAERT.
Paru dans La Flandre littéraire, artistique et mondaine en 1897.