Les deux mères

 

 

Ô ma mère ! pour moi tu t’es sacrifiée ;

Avec joie, en ton sein, tu as souffert tant de douleurs

Et les larmes de la reconnaissance avec lesquelles tu bénissais Dieu

Quand tu devenais mère – ô bonheur ! ma mère à moi ! –

Éteignaient à l’instant la flamme brûlante de tes chagrins,

Tu parsemais de tes baisers les lèvres de ton fils.

Aussi longtemps que ton enfant grandissait,

Combien ton cœur n’a-t-il pas souffert pour moi !

Que de fois tu restas veillant sur le petit berceau,

Tandis qu’une maladie frappait le frêle enfant !

 

Jusqu’à ce que l’espérance commençât à renaître,

Comme tu comptais les minutes de ma vie !

Avec quelle fièvre le sentiment agitait ton cœur !

Hors de toi, tendrement anxieuse,

Avec quel transport d’amour tu te jetais sur ton enfant !

Ma mère, ton fils a crû, il est grand,

Mais il n’a pas oublié ton amour si tendre,

Il n’a pas oublié les nuits privées de sommeil ;

Il aspire à combler tes hautes espérances.

 

En moi tu nourris l’amour de la patrie

Pour que je la chérisse comme une seconde mère.

Tu sus amoindrir en moi la possession du cœur maternel,

Pour que je le cédasse tout entier à mon pays.

Fidèlement tu m’appris que jusqu’à ce qu’elles faiblissent

Je devais consacrer mes forces au bien de la patrie.

Tu croyais atteindre ainsi pour toi la félicité suprême,

Si tu pouvais donner à ton fils un nom glorieux.

La gloire ne répandit point sur moi ses rayons,

Mais c’est une gloire pour moi d’être ton fils.

Oh ! alors j’aurai conquis le suprême bonheur

Quand, pour toi, je pourrai illustrer le nom de la Hongrie.

 

 

 

A. GREGUSS.

 

Paru dans Durendal en 1895.

 

 

 

 

 

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