Songe au crépuscule

 

 

Je rêve avec le jour qui meurt, avant la lampe.

Ma fenêtre est ouverte aux souffles du jardin ;

On est en mai, la brise est plus tiède à ma tempe,

Et le songe, en mon cœur, plus fort et plus soudain.

 

Jusqu’à moi vient de feuille en feuille, par bouffées,

Un chœur de tendres voix dans les cours d’un couvent,

Tandis que l’angélus, à notes étouffées,

S’égrène, aérien rosaire, dans le veut.

 

Voici bleuir la nuit sur les demeures closes ;

Tous les bruits qu’exaltait la clarté se sont tus.

Voici l’heure où la vie est grave dans les choses,

Où s’inquiète en nous un besoin de vertus.

 

On ne voit plus changer les aspects de la terre ;

C’est l’heure où s’interroge et se juge l’esprit,

Où l’homme se mesure à son propre mystère,

Et s’effraye soudain de son néant compris.

 

C’est ainsi, chaque soir, une angoisse tragique

Qui saisit à la gorge et dont l’étreinte mord :

Il semble que notre âme avec le jour abdique,

Et que tout l’univers soit penché sur la mort.

 

Et dans ce cœur, craintif toujours de ce qu’il aime,

Crédule par la vie aux tourments condamné,

C’est la double terreur du monde et de moi-même,

Du doute et de l’espoir sans relâche alternés !

 

J’ai la pudeur souffrante et chaste de mon âme,

Une sorte d’étrange orgueil faux et honteux,

Et je tais à chacun la ferveur qui m’enflamme,

Comme un enfant trop vif cache parfois ses jeux.

 

Mais pourquoi dérober sous un morne silence

La juvénile ardeur de ce cœur que voici ?

Comme en la neige un feu, sous la froide décence

Pourquoi l’ensevelir et l’étouffer ainsi ?

 

Bien d’autres ont livré leur secret à la foule,

Et lyrique sanglot, drame noir, vers doré,

Selon que l’éternel poème se déroule,

Les hommes, entendant pleurer l’homme, ont pleuré.

 

Oui, d’autres ont paré de magnifiques charmes

La peine et les plaisirs dont leur âme vivait

Pourquoi ne pas chanter ton bonheur ou tes larmes,

Puisque c’est le destin que ton désir rêvait ?

 

Car ton silence ment, car ta réserve abuse,

Car il t'est naturel de raconter ton cœur,

Comme il est naturel qu’un jet d’eau monte et fuse,

Comme il est naturel qu’un rosier ait sa fleur...

 

Ah ! quelque jour, aurai-je enfin l’auguste audace,

Mon courage ira-t-il jusqu’à la loyauté,

Et sans vaine hauteur, mais sans baisser la face,

Oserai-je avouer un jour ma vérité ?

 

 

 

Harlette HAYEM-GREGH.

 

 

 

 

 

 

 

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