Avenir

 

 

Pourquoi donc m’arracher à mes douces chimères,

À mes illusions, à mes songes dorés ?

Pourquoi me faire voir des peuples les misères ;

Pourquoi d’émotion soulever mes artères,

Et rappeler mes sens dans les cieux égarés ?

 

Laissez-moi remonter vers la céleste voûte,

Où paisible, déjà j’avais cru du bonheur

Voir scintiller au loin la véritable route ;

Où l’espérance avait distillé goutte à goutte

De son miel parfumé le nectar en mon cœur.

 

Tandis qu’autour de vous tout se meurt, tout s’écroule,

Tandis que de la nuit l’ombre vous envahit

Un horizon splendide à mes yeux se déroule,

J’entends une harmonie inconnue à la foule,

Et mon esprit charmé d’enivrement frémit.

 

Comme un baume aux blessés, comme aux fleurs la rosée,

L’oubli vient m’apporter le calme et la fraîcheur.

Mon œil n’aperçoit plus, de larmes arrosée,

Cette terre où, d’après la divine pensée,

Devaient régner toujours la paix et la douceur.

 

Ne m’enlevez donc pas à mon pieux silence ;

– C’est la nuit, le sommeil, c’est la mort, dites-vous –

Non, c’est l’extase où Dieu me dévoile d’avance,

Sur un char lumineux l’avenir qui s’avance

Et que, la joie au cœur, j’attends à deux genoux !...

 

Avenir ! pur foyer où la foi se rallume,

Je te vois, je te touche, et ta vive lueur,

Aube d’un nouveau jour, a déchiré la brume,

Et montre, s’enfuyant, vingt siècles que consume

Le feu sourd et croissant du doute et de l’erreur.

 

Avenir... Ô spectacle ! au-dessus de la nue

On entend s’agiter d’aise l’immensité :

Les astres dans les cieux saluant ta venue

S’inclinent saintement et, d’une voix émue,

Répètent : Paix, Amour, Travail, Fraternité !...

 

         Octobre 1855.

 

 

Émile GREYSON.

 

Paru dans la Revue trimestrielle en 1856.

 

 

 

 

 

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