C’est toi qu’on honnit,
laboureur...
C’est toi qu’on honnit, laboureur,
Qui dans ce monde es le meilleur ;
Chacun dira du bien de toi,
Si c’est en chrétien qu’il te voit.
Qu’en serait-il si notre père
Adam n’avait fouillé la terre ?
C’est en piochant que se soutint
Celui de qui l’homme provint.
De toi relève toute chose
Dont la terre pour nous dispose ;
C’est à tes mains que ressortit
Ce dont le pays se nourrit.
L’Empereur qui, par droit divin,
Nous protège vit de ta main ;
Et pareillement le soldat
Qui t’inflige tant de dégât.
C’est ta main seule qui produit
La chair du pot, le vin du muid ;
La terre du soc a besoin
Pour nous donner assez de pain.
Le globe entier serait sauvage
Si tu n’y tenais ton ménage ;
Et le monde serait bien triste
Qu’aucun paysan n’y subsiste.
Il faut célébrer ta louange
Puisque c’est grâce à toi qu’on mange ;
Fils bien-aimé de la Nature,
Dieu bénit ton agriculture.
L’âpre podagre, que je sache,
Au paysan point ne s’attache,
Mais travaille le hobereau
Et met plus d’un riche au tombeau.
Vanité n’est pas ton affaire
Et, pour sûrement t’en défaire,
Dieu, par ces temps-ci, de surcroît
T’envoie un supplément de croix.
L’arrogance du militaire
Fait ton salut sur cette terre,
En effet, c’est pour ton seul bien
Qu’il dit : « Ton avoir m’appartient. »
Hans Jakob Christoffel von GRIMMELSHAUSEN.
Recueilli dans Anthologie bilingue
de la poésie allemande,
Gallimard, 1993.