Immortalité
Tout est gris dans le ciel, tout est gris dans les cœurs
En ce sombre mois de novembre,
Ce triste mois des morts où, des arbres en pleurs,
Tombent les feuilles aux tons d’ambre.
Et nous pleurons aussi ces autres feuilles d’or,
Nos espérances et nos rêves
Qui s’en vont, piétines, mais colorés encor,
Où vont toutes les choses brèves.
Car rien n’est long, non, rien, rien de ce qui finit,
Et l’homme a beau, dans sa détresse,
Se leurrer d’un espoir : cette mort, qu’il bannit
De son esprit, veille sans cesse.
La mort ! tout aboutit à ce terme fatal !
Et pourtant l’âme garde en elle
L’invincible vouloir d’un bonheur idéal
Sans fin, d’une vie immortelle,
Et l’homme, en ce désir d’échapper à la mort,
Sentant comme un souffle de flamme
Le traverser, voudrait, dans un sublime effort,
Se déchirer, s’arracher l’âme
Pour que, de ces lambeaux palpitants et divins,
Sortît une œuvre bienfaisante
Qui prolongeât sa vie au delà des mesquins
Horizons de l’heure présente.
Qui de nous n’a senti ce lancinant désir
Embraser le sang de ses veines ?
Qui de nous n’a compris que souffrir et mourir
Sont les seules choses certaines ?
Il faut se résigner : rien de nous ne vivra ;
La gloire humaine est périssable ;
Dans les siècles lointains, pour les plus grands, viendra
L’oubli complet, irrévocable.
Se résigner, hélas ! hélas ! mon âme a beau
L’essayer, sans cesse elle pleure
Et proteste : jamais du marbre d’un tombeau
Elle ne fera sa demeure.
Mon âme est immortelle ! En détournant les yeux
De ce triste monde où tout passe,
Je la vois resplendir dans l’infini des cieux
Apaisée, heureuse, à sa place.
Encore un jour, mon âme, à pâtir ici-bas !
La mort guérit, la mort délivre.
Espère ! au ciel on vit et l’on ne souffre pas ;
Encore un jour, et tu vas vivre !
Comtesse E. de GRIVEL.
Paru dans L’Année des poètes en 1894.