Vesper
Captif de l’espace et du nombre,
Mon corps, si loin de son midi,
Voudrait m’emprisonner dans l’ombre
De son lourd sommeil engourdi.
Des portes de conte et d’ivoire,
Les rêves, évadés sans bruit,
Dressent un palais illusoire
Aux vils mensonges de la nuit.
Ah ! que tout ce décor se fane !
Et, fleur unique au front du ciel,
Surgis, légère et diaphane,
Belle étoile couleur de miel !
... Ô veilleuse du soir austère !
Si ton être impassible et pur
Entend les sanglots de la terre
Monter vers les gouffres d’azur,
Dis-moi, par ton lointain silence,
Ces mots que ne sait pas le jour
Dont le tumulte et l’apparence
Éteignent la voix de l’Amour.
Ô sainte étoile, si tes ailes
Envoyaient, dans leurs battements,
L’odeur des forêts éternelles
Jusqu’à cet esclave du temps,
Échappant à l’effroi du vide,
Dans un nostalgique réveil,
Il ouvrirait son cœur avide
Aux feux sacrés du vrai Soleil.
Et comme tes sœurs dont la ronde
Déroule sa spirale d’or,
Avec toi, vers un autre monde,
Son rêve enfin prendrait l’essor.
Car le secret que tu dévoiles,
Quand l’homme fléchit sous le faix,
C’est que la danse des étoiles
Prélude à l’éternelle paix
Et que leur céleste cantique,
Dont nos plaintes sont les échos,
Scande l’assomption mystique
Au lieu divin de leur repos.
Charles GROLLEAU.
Paru dans La Muse française en 1924.