La leçon des érables
Hier que dans les bois et les broussailles roses,
Me promenant rêveur et marmonnant des vers,
J’écoutais le réveil et la chanson des choses,
Voici ce que m’ont dit les grands érables verts :
« Si notre front là-haut si fièrement s’étale ;
« Si la sève robuste a fait nos bras si forts,
« C’est que, buvant le suc de la terre natale,
« Nous plongeons dans l’humus des grands érables morts.
« Si nos rameaux font voir de hautaines verdures,
« C’est pour perpétuer, au siècle où tout s’éteint,
« La gloire des géants aux fières chevelures
« Qui verdirent pour nous depuis l’âge lointain.
« Dans nos feuilles, parfois, une brise commence,
« Dolente, le refrain des vieux airs disparus.
« Écoutez : elle chante et l’âme et la romance
« Des aïeux survivants en nos feuillages drus.
« Tantôt, l’air solennel des graves mélopées
« Incline, avec le vent, notre haut parasol ;
« Une orgue ébranle en nous le son des épopées :
« Nous respirons vers Dieu la prière du sol !
« Prier, chanter avec la brise aérienne
« Et l’âme du terroir et l’âme des aïeux :
« Et puis, se souvenir afin qu’on se souvienne,
« Voilà par quels devoirs l’on grandit jusqu’aux cieux ! »
Ainsi, dans la forêt, et les broussailles roses,
M’ont parlé l’autre jour les grands érables verts.
Et, songeur, j’ai connu le prix des nobles choses
Qui font les peuples grands, plus grands que leurs revers.
Ils gardent l’avenir, ceux qui gardent l’histoire,
Ceux dont la souvenance est sans mauvais remords
Et qui, près des tombeaux où sommeille la gloire
À l’âme des vivants, mêlent l’âme des morts.
Ils le gardent surtout ceux dont les lèvres fières
Ont gardé les refrains du parler maternel :
Épopées ou romances où l’âme de nos pères
Vient prier et vibrer d’un accent éternel.
Gardons toujours les mots qui font aimer et croire,
Dont la syllabe pleine a plus qu’une rumeur,
Tout noble mot de France est fait d’un peu d’histoire,
Et chaque mot qui part est une âme qui meurt !
En parlant bien sa langue on garde bien son âme.
Et nous parlerons, ô verbe des aïeux,
Aussi longtemps qu’au pôle une immortelle flamme
Allumera le soir ses immuables feux ;
Que montera des blés la mâle ritournelle,
Que mugira le bronze en nos clochers ouverts,
Et que se dressera dans la brise éternelle,
Le panache hautain des grands érables verts.
Lionel GROULX.