Le dernier poète
Quand donc, ô poète ! serez-vous las de chanter ? Quand donc aurez-vous acheté cet éternel et vieux cantique ?
La corne de l’abondance n’est-elle pas vidée depuis longtemps ? Toutes les fleurs ne sont-elles pas cueillies ? Toutes les sources ne sont-elles pas épuisées ?
Aussi longtemps que le char du soleil parcourra sa route d’azur, et qu’un regard humain se tournera vers lui ;
Aussi longtemps que le ciel abritera les tempêtes et les éclairs, et qu’une âme tremblera devant leur courroux ;
Aussi longtemps que l’arc-en-ciel brillera après l’orage, et qu’un sein brûlera d’amour pour la paix et la réconciliation ;
Aussi longtemps que la nuit sèmera dans l’éther sa moisson d’étoiles, et que l’homme comprendra le sens de ces caractères d’or ;
Aussi longtemps que la lune luira, que le cœur sentira et espérera ; aussi longtemps que la forêt murmurera et rafraîchira de son ombre celui qui est fatigué ;
Aussi longtemps que le printemps verdira, que les roses fleuriront ; aussi longtemps que les yeux souriront et qu’ils brilleront de joie ;
Aussi longtemps que les tombeaux et les cyprès qui les ornent seront tristes et sombres ; aussi longtemps que les yeux auront encore des larmes, que le cœur pourra se briser ;
Aussi longtemps la poésie restera sur terre, et avec elle marchera plein d’allégresse celui qu’elle aura initié.
Et en chantant, et plein d’ivresse, un jour le dernier poète sortira avec le dernier homme du vieux séjour du monde.
Mais le Seigneur tient encore le monde dans sa main, semblable à une fleur fraîche qu’il regarde en souriant.
Quand cette fleur colossale sera fanée quand terre et soleil auront été emportés comme la première des fleurs ;
Alors, si vous n’êtes pas fatigués de questions, il sera temps de demander s’il est enfin chanté, l’éternel et vieux chant.
Anastasius GRUN.
Paru dans La France littéraire,
artistique, scientifique
en décembre 1856.