La bonne éternité
DANS notre vie qui s’écoule, ô Seigneur, nous pressentons la paix de votre éternité. Les choses commencent, durent leur temps et finissent. Au début du jour, nous avons la prescience du soir qui en sera le terme. Au sein de tout bonheur, la souffrance future nous fait déjà signe. Nous bâtissons notre maison, nous créons notre œuvre et nous savons qu’elle devra périr. Mais vous, ô Seigneur, vous vivez, et la fugacité du temps ne saurait vous atteindre.
Vous jouissez de votre existence toute sainte qui ne connaît ni nécessité ni limite. Vous êtes par vous-même perpétuelle Nouveauté et vous ignorez la satiété. Vous n’avez besoin de rien. Rien ne vous manque. Vous êtes tout. Vous possédez la plénitude de toute gloire.
Le centre de votre éternité est en cette présence que vous avez l’un à l’autre, ô Père, et vous, ô Fils, dans l’intimité du Saint-Esprit. C’est au sein de ce silence que résident votre amour et votre paix. En lui est votre demeure, ô Dieu bienheureux.
C’est de là que vous êtes venu vers nous, ô Jésus-Christ, et que vous avez apporté la nouvelle de « ce que l’œil n’a point vu, l’oreille n’a point entendu et de ce qui n’a pas pénétré dans le cœur de l’homme ». Quand le temps sera consommé, là aussi j’aurai ma demeure. Donnez-m’en la certitude. Faites que le désir que j’en ai ne meure jamais dans mon cœur afin que, parmi les fluctuations de la vie, ma pensée reste attachée à ce qui, seul, donne à toute vie sa mesure et son sens. Faites que mon âme soit touchée par le souffle de votre éternité, afin que j’accomplisse comme il se doit l’œuvre du temps et que je puisse un jour l’emporter avec moi dans votre royaume éternel. Amen.
Romano GUARDINI,
Prières, Bloud & Gay, 1952.
Traduit de l’allemand
par Jeanne Ancelet-Hustache.