La flamme
Un soir d’automne, tard, dans la campagne. Partout, c’est le froid, l’obscurité. Et devant ces espaces morts, l’âme se sent isolée. D’instinct, elle cherche autour d’elle où s’accrocher, mais rien : des arbres chauves, des collines froides, des plaines vides ; partout la mort. Dans ce désert, le seul vivant, c’est elle. Mais voici qu’au détour du chemin brille une lumière... comme une réponse à son appel : un vivant, familier, attendu...
Parfois, on s’assied le soir, dans sa chambre sombre. Les murs sont gris, sans vie ; le mobilier, muet. Alors résonne un pas ami ; avec adresse une main pointe vers le fourneau qui pétille aussitôt, et la flamme s’élance : de la petite porte coule dans l’appartement une lueur fauve et se répand une douce chaleur. Et comme tout se transforme ! Car tout reçoit une âme, comme un visage éteint qui subitement reviendrait à la vie.
Oui, le feu s’apparente au vivant. De notre âme, il est un des plus purs symboles. Chaud, brillant, en mouvement toujours, toujours cherchant à monter, il est l’image de tout ce que nous sentons vivre en nous. Sa flamme se dirige sans cesse vers les hauteurs, le moindre souffle d’air la fait vaciller, mais elle n’en oublie pas de monter quand même, ni de rayonner sa lumière, ni de répandre des flots de chaleur. Là, qui ne sentirait l’affinité profonde existant avec l’être de lumière qui toujours brûle au fond de nous, qui se courbe si souvent sous les coups ennemis malgré son invincible tendance à monter ? Et cette flamme qui enveloppe tout son entourage, l’anime, le transfigure ; cette flamme qui polarise la vie autour d’elle ne symbolise-t-elle pas le feu mystérieux qui luit en nous pour transfigurer le monde et lui donner un sens ?
Oui, c’est cela : image de notre esprit, de ses aspirations, de son rayonnement, de sa force, voilà bien la flamme ! Et c’est vraiment un vivant qui nous parle, n’est-ce pas, quand devant nous paraît soudain sa lumière ?
Romano GUARDINI, Les signes sacrés.