La faute originelle
SEIGNEUR, votre révélation nous apprend qu’une faute se dresse au commencement de l’histoire humaine : une révolte contre votre saint commandement, un crime contre votre éternelle majesté. Votre révélation nous dit encore que ceux qui ont jadis commis cette faute n’étaient pas seulement deux êtres parmi la multitude, mais nos ancêtres, et que, pour cette raison, il nous faut en même temps qu’eux porter la responsabilité de leur acte.
Cet enseignement est « dur à entendre », ô Seigneur ! Notre cœur demande : « Que m’importent ceux-là ? » Mais au fond de lui-même, il sait que vos paroles sont vraies. Avant toute culpabilité personnelle, il en est une autre, plus profonde. Elle précède toute décision individuelle, elle dépasse la mesure de la volonté individuelle. Nous sommes devant vous dans la communion à la culpabilité humaine et nous ne voulons pas nous soustraire à cette responsabilité.
Cette culpabilité a bouleversé tout le créé, mais celui-ci n’a pas pour autant cessé d’être votre œuvre, et votre sainteté est plus forte que tout mal. La faute a détaché brutalement de vous l’existence humaine. Elle a faussé la nature de l’homme et mis le désordre dans ses facultés. Mais vous ne l’avez pas abandonnée et votre amour pour elle n’a jamais cessé d’être.
Ce fut déjà une rédemption d’apprendre par votre révélation ce qu’il en est de nous, car le péché, qui voulait s’approprier la Connaissance, était devenu un aveuglement et ne se connaissait plus lui-même. Nous reconnaissions la culpabilité individuelle, mais la culpabilité originelle qui pénètre tout, nous ne la reconnaissions pas. Nous nous justifiions sans savoir ce que nous faisions. Désormais vous nous avez enseigné à voir la vérité et par là, une vie nouvelle a déjà commencé.
Faites-moi comprendre toujours plus profondément ce que je suis, mais aussi qui vous êtes, ô Dieu d’amour. Éveillez en moi le sérieux instruit dans la foi, et la confiance qui s’en remet à votre grâce. Amen.
Romano GUARDINI,
Prières, Bloud & Gay, 1952.
Traduit de l’allemand
par Jeanne Ancelet-Hustache.