Le mystère de la grâce

 

 

À travers votre création, ô Seigneur, passe une voix qui nous fait pressentir quelque chose au-dessus de tout le créé. Les créatures et leur ordonnance, la terre, le soleil et les astres paraissent être l’unique réalité ; mais notre cœur sait qu’elles procèdent de votre sainte liberté et sont des dons qui doivent sans cesse être à nouveau reçus. Ainsi, elles portent notre esprit vers quelque chose de plus haut qu’elles, mais elles ne nous disent pas ce que c’est.

Ces indices sont plus puissants dans notre propre vie. La plante et l’animal croissent selon leur nature propre et s’accomplissent en elle ; il n’en est pas ainsi de l’homme. Il ne devient lui-même que dans sa rencontre avec l’Autre, il ne réalise son être propre qu’en se donnant à l’Autre. Mais il n’est rien de terrestre qui puisse devenir pour lui cette suprême rencontre qui le comble ; ainsi, il est toujours en route et cherche toujours. Ce qu’il cherche en vérité, cependant, il ne l’obtient pas par ses propres forces. C’est la grâce seulement qui le lui donne. C’est à elle qu’est attaché notre salut, mais nous n’avons pas plus de droit sur elle que de pouvoir pour la contraindre. Il faut qu’elle se révèle à nous, et seulement alors nous la reconnaissons. Il faut qu’elle se donne à nous, et seulement alors nous la possédons. Et en elle seulement nous recevons notre moi le plus personnel que votre pensée nous a destiné, ô mon Dieu, lorsque vous nous avez créés.

Dans l’œuvre de votre rédemption, ô Seigneur, vous avez commencé une œuvre nouvelle. Vous-même êtes venu et vous avez appelé l’homme. Votre nature, cachée à toute la création, « a resplendi pour lui sur la face de Jésus-Christ ». Vous lui avez montré sa déréliction et vous lui avez offert le pardon. Votre amour et votre sainteté ont flué à sa rencontre : désormais, il peut les accueillir et y participer.

Tout cela est votre libre don et c’est pourtant la réponse à notre exigence la plus profonde. Nous ne pouvons l’imaginer par nos propres forces, mais lorsque vous le révélez, nous comprenons soudain que c’est la vérité dont nous vivons. Nous devons la maintenir contre l’opposition du monde et malgré la contradiction de notre propre insuffisance ; mais lorsque notre cœur s’ouvre, elle parle au plus intime de lui-même et porte notre existence.

Éveillez en moi, ô Seigneur, le tourment sacré qui me contraigne à être en tout temps à votre recherche. Enseignez-moi à comprendre le mystère selon lequel vous avez créé mon être : je ne peux vivre que de ce qui me dépasse et je me perds dès que je cherche mon centre en moi-même. Prenez ma main, aidez-moi à cheminer jusqu’à vous, afin que je me trouve véritablement en vous. Amen.

 

 

 

Romano GUARDINI,

Prières, Bloud & Gay, 1952.

 

Traduit de l’allemand

par Jeanne Ancelet-Hustache.

 

 

 

 

 

 

 

 

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