Comprendre la Rédemption

 

 

 

 

I

 

 

PAR la bouche de votre Fils, ô Seigneur, nous recevons le message de la rédemption. Il n’a pas pour origine les expériences de notre détresse humaine, mais votre libre et sainte décision. Notre cœur peut l’attendre, notre désir peut aller à sa rencontre, mais seulement lorsque votre amour fait le premier pas ; car c’est son œuvre déjà si nous l’attendons et si nous allons à sa rencontre.

 

Ainsi donc, il n’appartient pas non plus à notre esprit de juger ce qu’est pour vous la rédemption, ni qui vous êtes, vous qui accomplissez cette rédemption. S’il agit ainsi, il est comme un aveugle qui parle de ce qui a trait à la lumière. Lorsque nos yeux s’ouvrent sur ce que vous êtes, alors seulement nous comprenons comment vous pouviez nous racheter, mais c’est seulement par votre sainte entreprise que nous apparaît le reflet de votre nature.

 

Ce n’est pas là l’illusion d’une foi qui prouve sa vérité par sa propre volonté. En nous jetant aveuglément au sein d’un mystère, nous ne nous dérobons pas à l’exigence de justifier notre foi. Bien plutôt, c’est ici le commencement, et aucun commencement ne peut être prouvé du dehors, mais il se révèle de soi-même. C’est le grand, le saint commencement, le second après celui qu’est la création, le début de ce nouveau et saint devenir qui s’accomplit à l’intérieur de l’ancien, et croire signifie s’y engager.

 

Je crois donc, ô Seigneur, à ce saint commencement tel qu’il se manifeste dans la lumière qui resplendit sur la face de votre Fils, dans la divine vérité de ses paroles, dans la puissance de son geste, dans le témoignage de toute son existence. Il est la révélation substantielle. C’est en lui que vous vous êtes montré à nous, Dieu inconnu et caché.

 

La rédemption est l’œuvre de votre amour. Mais votre amour, ô mon Dieu, surpasse tellement l’entendement humain que celui-ci ne peut que se scandaliser et, au nom même de votre pureté, élever des objections quand il ne reconnaît pas que le message de cet amour est le Message même. Vous êtes celui qui aimez ainsi. Vous êtes celui qui, dans votre amour, avez pris tellement à cœur notre destinée que, pour l’amour de nous, vous vous êtes vous-même chargé d’une destinée.

 

« Montrez-moi votre sainte face », afin que je voie qui est mon Dieu. Enseignez-moi à comprendre votre amour et à comprendre ce qu’il a accompli. Amen.

 

 

 

II

 

 

Ô SEIGNEUR, Vous avez tout créé, et toutes choses portent surabondamment les figures de vos éternels desseins. Les choses de ce monde, et les formes de l’histoire, et les mouvements de notre cœur nous enseignent à pressentir les intentions sur nous de votre amour.

 

C’est à nous qu’il appartient de comprendre le sens exact de ces figures. Elles peuvent devenir pour nous des jalons qui nous acheminent vers le mystère de votre rédemption ; elles peuvent frayer la voie à Celui qui est sorti de vous pour ramener le monde à la vérité. Mais elles peuvent aussi devenir des formes trompeuses où se perd notre esprit, des filets et des pièges où se prend notre cœur.

 

Donnez-moi la sainte clarté qui est déjà elle-même un fruit de la rédemption, afin que je reconnaisse les indices qui mènent à vous. Aidez-moi à saisir le vrai sens des paroles que nous apporte la révélation et qui, depuis si longtemps déjà, menacent de se perdre.

 

Préservez-moi de faire bon marché de la rédemption. Donnez-moi de ne pas me satisfaire de quelque libération superficielle incapable de supprimer le grand esclavage qui réellement est en jeu. Enseignez-moi la sainte exigence qui réclame une rédemption – mais la vraie, la pleine rédemption, celle qui « surpasse tout entendement » parce qu’elle est aussi grande que votre amour. Amen.

 

 

 

III

 

 

SEIGNEUR Jésus-Christ, le dessein du Père vous a envoyé en ce monde, et vous êtes venu, et vous avez réalisé la plénitude de la justice. Vous avez aimé le Père d’un amour parfait et vous avez ramené le monde à lui, et c’est ainsi qu’il a été sauvé. Vous avez accueilli notre existence dans votre cœur, vous l’avez pleinement vécue et soufferte, et c’est ainsi que sa faute a été rachetée. Voilà ce qui fut accompli et ce qui demeure pour tous les temps. Vous êtes le commencement de la nouvelle création. Ce saint commencement est là désormais, et il n’aura pas de fin avant que toutes choses soient consommées.

 

J’ai considéré tout cela, mais parler et entendre ne sert de rien si vous ne faites pas luire en nous votre vérité, ô Seigneur. Je vous prie donc de vous tourner vers moi. Faites-moi reconnaître qui vous êtes. Rendez mon cœur sensible à la sainteté qui est venue en votre personne. Faites-moi contempler la gloire qui rayonne sur votre face. Par votre personne et vos paroles, par vos actes et votre destinée, donnez-moi la certitude qu’en vous la vérité et l’amour rédempteurs sont près de moi.

 

Vous êtes la voie, la vérité et la vie. Vous tes le commencement de la nouvelle création. Donnez-moi le courage de courir le risque de ce commencement. Et non seulement dans un sentiment fugitif, mais avec un sérieux qui sait qu’il y va de la destinée éternelle. Faites-moi reconnaître en quoi consiste la conversion et donnez-moi de l’accomplir dans la réalité de ma vie quotidienne. Et lorsque mon expérience me prouve à quel point je suis prisonnier du vieil homme, donnez-moi la fidélité qui persévère et la confiance qui recommence toujours, autant de fois que tout paraît faire faillite. Amen.

 

 

 

Romano GUARDINI,

Prières, Bloud & Gay, 1952.

 

Traduit de l’allemand

par Jeanne Ancelet-Hustache.

 

 

 

 

 

 

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