Bénie soit la vie

 

 

                                         À mes confrères

 

 

              En face de deux grands chemins

Où m’a conduit la vie en sa course montante,

Jeune homme au cœur ardent, à l’âme militante,

Assoiffé d’idéal, enviant les mondains,

J’écoute les appels ; et mon âme attentive

                      À se rendre est tardive.

        Suivre la voie où le cœur tous les jours

                      Pour son Maître s’immole ?

        Donner sa flamme aux humaines amours ?

        Le choix me trouble et mon cœur se désole.

 

              Toi, Seigneur, tu vins mettre fin

À cette lutte ardente engagée en mon âme ;

Tu voulus en ma chair renouveler le drame

Languissant et obscur de ton calvaire saint,

Tu me donnas ta croix ; et la sainte souffrance

                      Remplit tout mon silence.

        Je compris mieux, peut-être avec lenteur,

                      Quel fécond sacerdoce

        Je remplirais sur mon lit de douleur

        Où me cloua ma vieillesse précoce.

 

              Ô toi, clef de tous les trésors,

Santé, qu’aurais-je fait armé de ta puissance ?

Un moine, ami du cloître et de la pénitence ?

Un orgueilleux déchu, rongé par le remords ?

Un sceptique haineux ; un navire en détresse

                      Sur les flots de l’ivresse ?

        Mais à quoi donc aurais-je dépensé

                      Ma bouillante jeunesse ?

        À servir Dieu, parfois à l’offenser ?

        À flatter l’homme, à prôner sa sagesse ?

 

              Chaque jour je bénis ma croix.

J’appris à me connaître au sein de la souffrance ;

Là mon cœur se ranime et s’ouvre à l’espérance,

Il saurait mieux T’entendre et répondre à Ta voix.

La douleur, la prière et son divin dictame

                      Ont façonné mon âme.

        Jusqu’à ce jour l’épreuve fut mon lot,

                      Pourtant j’aime la vie,

        Je l’aimerai toujours, jusqu’au tombeau :

        Mon sort m’est doux si nul ne me l’envie.

 

              Ah ! Dieu ! que je désirerais

Sous ton souffle divin guidant ma main débile,

Prendre une harpe d’or, sur ma couche, immobile,

Pour te chanter, ô Vie, et chanter tes bienfaits ;

Proclamer ta valeur, exalter ton mystère

                      Qui remplit cette terre ;

        Chanter ta joie ainsi que ta douleur

                      En son amer calice,

        Bénir ton nom et venger ton honneur......

        S’il se trouvait des cœurs qui te maudissent.

 

 

 

Jean-Louis GUAY, Moisson de vie, 1931.

 

 

 

 

 

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