Stances à la souffrance
À M. ANTOINE MICHAUD
« L’homme est un apprenti, la douleur
est son maître,
« Et nul ne se connaît tant qu’il n’a
pas souffert. »
A. de MUSSET.
Atteint au cœur de mes années
Par le glaive angoissant de l’humaine douleur,
Victime involontaire en proie à la langueur
D’une existence vaine où sombrent les journées,
Je regarde le ciel, et mon œil égaré
Se remet à pleurer.
Ma croix est lourde et ma peine indicible !
Dieu ! Dieu ! quel rude coup
Tu portes là d’un bras fort, invincible
À ton enfant qui, lui, t’aime beaucoup !
Je reconnais mon impuissance
À surmonter l’épreuve où ta loi m’a soumis ;
Mon cœur et ses désirs pour un temps endormis
Élèvent leurs sanglots du fond du gouffre immense
Dans la profonde nuit où tu les as plongés
Comme des naufragés.
Sur cette mer d’aspect lugubre et grave
Je scrute terre et cieux :
Aucun secours, non, pas même une épave
Pour me sauver n’apparaît à mes yeux.
Va mon âme ! Dans la tourmente
Étourdis ta raison, dédaigne ta douleur,
Tout ce qui dans son cours augmente ton malheur ;
Laisse-toi balloter sur la vague méchante,
Qu’importent les sanglots si le ciel reste sourd
Aux soupirs de l’amour.
Le vide affreux dont les heures sont pleines
Est l’abîme de tout ;
Comme un torrent vont s’engloutir tes peines,
En espérer quelque retour est fou !
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Ô Dieu ! Qu’ai-je dit ? Je délire !
Ai-je péché jusqu’à blasphémer votre nom ?
Pourrai-je près de vous obtenir mon pardon ?
Le sombre désespoir a-t-il si grand empire
Sur mon être affaibli qu’il lui fasse oublier
Ta divine amitié ?
Courbe ton front, fier orgueil misérable,
Ton Maître est devant toi ;
Sois confondu dans ton erreur coupable
D’’avoir bravé ton Dieu, ton divin Roi.
J’avais compté sans la souffrance
Pour dissiper ma vie en ce monde fiévreux ;
Je me croyais viril, puissant et courageux,
Je regardais souffrir avec indifférence,
Mais votre croix, Seigneur, m’apprit en ces saints lieux
À me connaître mieux.
Puis j’ai gravé votre leçon féconde
Dans ma chair et mes os ;
Mortels, devant le Créateur du monde
Nous ployons tous, tels de frêles roseaux.
Oui je regrette ma folie
Dee t’avoir si longtemps méprisé, méconnu
Dans ton baiser d’amour qui met mon cœur à nu.
Je veux boire avec toi, boire jusqu’à la lie
Le calice sublime où ton sang rédempteur
Germa dans la douleur.
Je veux surtout dans cette vie austère
Malgré mes membres las,
Monter, monter jusques à ton calvaire
Portant ma croix en marchant sur tes pas.
Hélas ! J’ai méprisé tes gerbes
Ô divine moisson, alors que mes tourments
Aveuglaient mon esprit dans ces cruels moments ;
Car ces jours douloureux sont des trésors superbes
Que ne peuvent valoir dans leurs joyeux refrains
Les vains plaisirs mondains.
Allons mon âme ! Envole-toi plus sage
Vers les divins sommets ;
Pour soutenir jusqu’au bout ton courage
Redis tout-bas ces mots : JE ME SOUMETS !
Jean-Louis GUAY, Moisson de vie, 1931.