Ascension

 

 

                            I

 

Éboulis et rocaille.

En avant.

Rien d’autre qu’éboulis et rocaille.

Escalader gravats.

Gravir escarpement.

Rouler.

Dégringoler.

Se cramponner à chaque pierre.

Croire que la blessure est allée jusqu’à l’os.

Sentir son cœur cogner,

ses membres se meurtrir

et sa langue pendre.

 

Se rappeler tout à coup le Seigneur.

Bon Seigneur !

J’ai bien manqué tomber !

Je te promets de ne jamais

recommencer telle folie

si tu me retiens maintenant.

Perdre raison et contenance

le dernier pic atteint.

 

 

                            II

 

Se hisser sur la plus haute pierre.

Se détendre les os.

Saisir son sac à provisions.

Mettre son nom dans un flacon vide.

Se relever et puis errer.

Rêver.

Se creuser la cervelle à chercher

le nom des montagnes : Nature.

Chercher et retrouver un nom, un autre.

Un paysage ne vaudrait

pas bien cher

s’il n’avait pas de nom.

 

 

                            III

 

Avoir bien froid au soir tombant.

Repartir tard et à pas lents.

Se traîner vers un carré de mousse.

Perdre un talon à son soulier.

Sentir qu’on lâche toute prise.

Crouler.

Dégringoler éboulis et rocaille

en arrière et jusqu’en bas.

S’étendre de tout son long.

Regarder autour de soi.

Sonder l’abîme de ses yeux.

Penser que la main glisse

et que lâche la pierre.

Sentir la rocaille vous recueillir.

Entendre dans ses os des craquements

et ne jamais être retrouvé.

 

 

                            IV

 

Rentrer chez soi et bien jurer

de ne jamais plus repartir.

Rêver toutes les nuits suivantes

éboulements et pieds cassés.

Et bien longtemps après

d’un ton dégagé dire :

Voyez ce pic ! J’y suis monté.

Tout jeune encore j’avais juré

de vaincre ces montagnes

et n’ai depuis plus eu de cesse

d’être arrivé tout au sommet.

Ce n’est bien entendu pas une ascension

pour gens aux nerfs malades,

mais pour ma part, il m’a semblé

bien plus aisé d’aller

droit devant moi !

Car quelque haute que semble

une montagne, on doit toujours se rappeler

ce que jadis un homme d’esprit a dit

et formulé ainsi, à savoir

que rien n’est proprement abrupt

mais seulement plus ou moins plat.

 

 

 

Tómas GUDMUNDSSON, Poèmes islandais,

traduits par Pierre Naert, 1939.

 

 

 

 

 

 

 

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