Hymne platonicien
De quel nom te nommer, Sommet caché des choses,
Principe, Intelligence, Être infini, sans nom,
Ô Suprême, ô Parfait, ô Bon, Cause des causes,
Du Désir à la Vie unique et pur chaînon ?
Ineffable, salut ! Essence incognoscible,
Ô tout contenant tout, Étendue invisible,
Dieu pensant et pensé par l’immense Univers,
Toi-même est l’origine et comme une eau qui suinte
D’une même paroi coule en filets divers,
C’est de toi que filtra la pluralité sainte
Des Dieux dont la pensée organise en créant.
Père, qui donc es-tu ? Sur l’antique néant
Ton Verbe fit courir le souffle de la Vie.
Par toi le Démiurge, actif, essentiel,
Conscient, pétrissant la matière asservie,
Faisant germer le monde et l’âme et le grand ciel,
Du sensible Univers réalisa l’idée.
Toute œuvre manifeste, à l’imparfait contour,
Par la conception du type est précédée ;
Mais l’ouvrier nouveau sait que son rêve, un jour,
Émané de l’esprit, doit fleurir dans la forme.
Ton rêve, ô Créateur, conçu dans l’infini,
Dans le fini s’affirme et croît selon la Norme
Vers le Premier Parfait avec l’Un réuni.
Salut, ô Fin suprême, où se perd la nature !
Où l’âme humaine tend comme vers le soleil
La plante prisonnière en une grotte obscure !
L’Esprit aspire au Bien, mais hélas ! est pareil
À l’aiglon faible encor dont l’aile est impuissante.
Il hésite, il s’élance, il tombe. Il faut qu’il sente
Ta sage Providence éparse autour de lui.
Ô Dieu ! loin du fragile et loin de la matière ;
Sois vers le Beau divin son guide et son appui,
Que par l’amour, l’effort, la vertu, la prière ;
Sur l’aile du Désir l’âme s’élève aux Dieux !
Des Dieux intelligents la prière est l’amie ;
Par elle, libre enfin, l’âme heureuse, affermie,
S’affranchit et s’absorbe en ton sein radieux,
Ô Principe ! et mêlée aux célestes Pléiades,
Comme un astre au zénith montant vers l’Unité,
Dans l’Absolu parfait conçoit les trois nomades
Divines : Vérité, Symétrie et Beauté.
Je te prie, entends-moi, Sommet caché des choses,
Du Désir à la Vie unique et pur chaînon,
Principe, Intelligence, ô Bon, Cause des causes,
Ô Suprême, ô Parfait, Être infini, sans nom !
A. de GUERNE, Les Siècles morts.
Recueilli dans Poètes du Nord 1880-1902 :
Morceaux choisis, par A.-M. Gossez, 1902.